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LA PAPAUTÉ DEPUIS LUTHER.

royauté franque, ils jouissaient depuis long-temps, chez eux et en Italie, d’une grande autorité dans l’ordre spirituel. On ne siège pas inutilement au Capitole. Le prêtre de Jésus-Christ, qui succédait tant aux consuls de la république qu’à l’empereur romain, avait vu les autres évêques de la chrétienté naissante, ceux d’Afrique comme ceux de l’Asie-Mineure, ceux de la Syrie comme ceux des Gaules, lui décerner naturellement la suprématie.

Les degrés qui firent monter l’épiscopat romain à un pouvoir théocratique d’une espèce nouvelle furent le temps, le mérite, l’intérêt de l’Italie, l’appui des Francs, l’ascendant de la religion, l’empire qu’exercent les traditions sur les hommes, quand elles se confondent avec leurs croyances ; la nécessité pour tous d’une autorité générale. Il y eut un moment où les causes déterminantes d’une grandeur future furent assez visibles pour être comprises par les évêques de Rome, et dès-lors l’idée de la papauté fut conçue.

À ce moment aussi l’esprit chrétien se contredit et se transforma. L’humilité primitive fut dépouillée ; à l’empire du ciel on voulut joindre celui de la terre ; on ne se borna plus à instruire et à purifier les hommes, on désira les gouverner ; l’ambition prit la place du renoncement aux grandeurs, et l’habileté vint se mettre à côté de la vertu.

Rome, l’Italie, le monde, voilà les trois objets de la pensée des papes. Ils avaient à gouverner Rome en se défendant contre les instincts républicains qui la possédaient toujours. Ils avaient à soutenir le rôle de protecteurs de l’Italie et de sa liberté, et à choisir dans la péninsule des partisans et des adversaires ; ils devaient enfin se montrer en spectacle et en maîtres au monde, le bénir et le diriger, intervenir puissamment entre les rois et les peuples, avoir la tête assez haute, l’ame assez grande, l’œil assez sûr pour voir tous les hommes et s’en faire invoquer.

À soutenir cette situation immense, toutes les aptitudes et toutes les ressources humaines suffisaient à peine. Il n’y a point à s’étonner de la décadence de la papauté dans l’histoire moderne, mais de son élévation et de sa durée, qui sont au surplus un des plus grands hommages que le genre humain ait jamais rendus à l’autorité du talent et de la pensée. Les papes durent se montrer tour à tour riches comme des princes, pauvres comme des moines, saints et habiles, humbles et arrogans ; ils durent souvent aller chercher des rois pour s’en faire secourir et adorer, ou bien du haut du Vatican lancer sur leur tête plus que la foudre, la terreur. Ajoutez à ces nécessités le jeu des passions, les épisodes dont ne pouvaient être avares la perfidie et la