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fées ; enfin elles ont franchi le seuil, grâce à la protection d’un robuste étranger. Entrées dans l’intérieur, divine Pallas ! quelle est l’admiration des deux Doriennes ! Leur babil incessant irrite un voisin peu courtois ; mais trêve de querelles : l’orchestre prélude ; une chanteuse argienne entonne l’hymne d’Adonis, en y mêlant les louanges de Bérénice et de la reine Arsinoé. Par malheur, au milieu de ces délices, Gorgo se rappelle que son mari n’a pas dîné ; et quand il a faim, malheur à qui l’aborde ! Ce n’est plus un homme. Vite, il faut quitter la fête et regagner tristement le logis.

Ce mime, ou, comme nous dirions, ce proverbe, écrit en vers pétillans d’esprit, est un des tableaux les plus vifs, les plus frais et les plus spirituels que nous ait légués la muse grecque.

Il nous reste encore un fragment d’une trentaine de vers qui paraît avoir appartenu à un de ces petits drames de l’époque alexandrine : il est intitulé Lityerse ou Daphnis. Athénée en nomme l’auteur Sosithée[1]. Ce fragment, publié pour la première fois par Casaubon[2], a donné lieu à de nombreuses controverses[3]. J’ai déjà cité la dissertation de M. Eichstædt, De dramate Græcorum comico-satyrico. Dans cet opuscule réfuté par Hermann, M. Eichstædt soutient que le Lityerse appartient à un nouveau genre de drame satyrique, qui n’employait pas les Satyres et ne parodiait plus sous leurs traits les dieux et les héros, mais se moquait des vices et des ridicules qu’on rencontre dans la vie commune. À ce compte, le drame comico-satyrique de M. Eichstædt n’aurait été, à proprement parler, qu’une des nombreuses variétés du genre mime.

En résumé, les mimes nés, comme nous l’avons vu, du goût prosaïque et libertin des cours d’Alexandrie, de Pergame et de Syracuse, quittèrent les hautes régions de la comédie idéale, pour descendre à une imitation plus crue, plus naïve et moins poétique des ridicules de l’espèce humaine. Au rebours de la comédie démocratique, qui avait naguère diverti le peuple aux dépens des hommes puissans[4], les mimes récréaient les riches et les puissans aux dépens des vices et des ridicules des classes populaires. D’ailleurs, comme nous l’avons vu, ces légères esquisses des mœurs vulgaires ne restaient pas enfermées dans les palais. Après avoir amusé les oreilles royales et aristocratiques, les mimes redescendaient sur les places et les théâtres publics pour amuser la populace, qui, quand elle est avilie, se complaît, comme on peut le remarquer tous les jours sur nos théâtres des boulevards, au spectacle ignoble de sa propre turpitude.


Charles Magnin
  1. Un poète de ce nom appartient à la pléiade tragique des Alexandrins.
  2. Dans les Lectiones Theocritiæ, sous le nom de Hortibonus.
  3. Particulièrement entre deux savans italiens, Franc. Patrizzi et Jac. Atazzoni. Voy. Lorenz. Crasso, Istoria dei poeti Greci.
  4. Sans doute Aristophane n’épargne aucune classe, et il a devancé les mimes dans la peinture des mœurs triviales ; mais le côté prosaïque et vulgaire n’est jamais chez lui que l’accessoire destiné à faire ressortir l’éclat de ses hautes et courageuses agressions. C’est ainsi que dans les Femmes savantes la simplicité comique du bonhomme Chrysale ne sert qu’à mettre mieux en saillie les élégans ridicules du très puissant hôtel de Rambouillet.