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ÉMANCIPATION DES ESCLAVES.

si en conséquence le prix des propriétés se maintient ; si de nouveaux capitaux sont engagés dans les exploitations ; si l’on néglige, comme inutile, l’appel de travailleurs étrangers. Il faut rechercher ensuite s’il n’existe pas une cause spéciale et indépendante du bill, qui, dans quelques-unes des colonies, explique en tout ou en partie leur situation actuelle. Il faut pénétrer enfin dans les détails de l’exécution du bill, et s’enquérir de l’intérêt que les apprentis attachent au temps de liberté qu’on leur assure, de l’usage qu’ils en font, de l’activité avec laquelle ils s’acquittent de leur travail dans les jours réservés aux maîtres, de leur empressement à faire entrer leurs enfans en apprentissage, enfin, de la conduite des nègres déclarés libres par le bill.

Une analyse succincte établira clairement que, sur les onze colonies, une seule, Antigues, doit à des circonstances entièrement spéciales une prospérité que l’on regrette de ne pas trouver ailleurs ; que trois autres, la Barbade, Saint-Christophe et Sainte-Lucie, ont été préservées jusqu’à présent, et par des causes particulières, de ces symptômes de décadence, qui se manifestent, à des degrés différens, mais toujours avec évidence, dans les colonies les plus importantes et les plus nombreuses, à la Grenade, à la Guiane, à la Trinité, à Saint-Vincent, à Hévis, à la Dominique et à la Jamaïque.

À Antigues, les planteurs ont affranchi, en un seul jour, trente mille esclaves que le bill leur donnait le droit de conserver six années, en qualité d’apprentis ; et depuis l’affranchissement, les baux des terres se sont élevés.

Ces faits en disent plus que toutes les déclarations, plus que tous les témoignages, sur le sentiment de sécurité qui domine dans cette colonie.

Mais, à Antigues, se trouvent réunies les deux circonstances les plus favorables que puisse rencontrer un affranchissement général : l’éducation religieuse et morale des noirs, l’appropriation de toutes les terres.

J’ai dit que l’éducation religieuse et morale des noirs se conciliait mal avec l’impatience ordinaire des affranchissemens généraux, et l’exemple d’Antigues confirme bien plus qu’il ne contredit cette assertion ; car ce serait folie que de compter partout sur le zèle volontaire d’une mission aussi active et aussi dévouée que celle des frères moraves. Ce serait folie que de supposer que tous les conseils coloniaux montreraient, pour seconder cette œuvre, l’intelligence et la générosité qui se sont manifestées à Antigues.

J’ai ajouté que rien ne pouvait suppléer les garanties individuelles, et que les soins donnés à la masse des esclaves ne pouvaient créer seuls un état de choses exempt de périls. L’exemple d’Antigues vient encore ici à l’appui de ma pensée ; car l’action religieuse des frères moraves y a trouvé un auxiliaire puissant dans l’accident matériel dont j’ai déjà fait mention, l’appropriation générale des terres.

Pour juger de l’importance de cette garantie, il suffirait de se représenter l’attraction presque irrésistible que doivent exercer sur les nègres ces solitudes inhabitées qui occupent le centre de la plupart des colonies, et particulièrement des nôtres. Là, indépendance absolue ; là, quelques occupations