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obtenu et ne devaient pas obtenir le même succès que les Moissonneurs. Cet ouvrage, en effet, manque de clarté. M. M…e a bien voulu laissé graver la première esquisse peinte des Pêcheurs, et cette esquisse est assurément beaucoup plus obscure que la composition définitive qui appartient à M. Paturle. Mais tout en reconnaissant que Robert a fait subir à sa première pensée d’heureuses modifications, nous sommes forcé d’avouer que le tableau exposé à Paris en 1835 ne s’explique pas par lui-même comme les Moissonneurs. Dans la première esquisse, il est vrai, le spectateur pouvait à peine deviner si les pêcheurs de l’Adriatique arrivaient ou partaient, et la composition définitive a résolu ce doute. Il est évident, dans le tableau que nous connaissons, que les pêcheurs vont quitter le port ; mais cette indication est loin de suffire à contenter le spectateur. Les sentimens qui animent les différens personnages de cette toile demeurent indécis ou du moins ne se révèlent pas assez franchement, et surtout assez vite pour répandre sur la composition entière l’intérêt qui domine les Moissonneurs. En comparant la première esquisse au tableau que nous connaissons, il est facile de voir que Robert s’est efforcé d’atteindre l’unité linéaire ; c’est dans ce dessein qu’il a placé le patron de la barque au-dessus de tous les autres personnages. Mais si par cet habile déplacement il a réussi à contenter l’œil, nous devons dire qu’il n’a pas satisfait la pensée. L’attention, au lieu de se concentrer sur le groupe qui entoure le patron, interroge successivement toutes les parties de la toile et ne sait où se fixer. Or, c’est là un grave défaut. L’unité linéaire, si importante qu’elle soit, ne peut se passer de l’unité poétique, et l’unité poétique manque absolument aux Pêcheurs de Robert. Il est facile de découvrir dans ce tableau, qui devrait réunir les personnages et les spectateurs dans un sentiment commun, trois épisodes, trois groupes qui ont la même valeur, c’est-à-dire trois tableaux. L’aïeule assise à gauche, et la jeune femme qui tient son enfant dans ses bras, le patron qui dirige les apprêts du départ, les jeunes gens placés à droite, qui plient les filets, appellent tour à tour le regard et se partagent la sympathie des spectateurs. Mais si l’unité poétique est absente, chacun des épisodes que nous avons énumérés est traité avec un savoir supérieur à celui dont Robert avait fait preuve dans les Moissonneurs. La tête de l’aïeule est très belle ; le visage de la jeune mère respire une mélancolie pleine de grace ; le jeune homme placé sur le premier plan, dans une attitude un peu théâtrale, est plein d’énergie et de fierté ; le geste du patron est vrai ; l’inquiétude des enfans qui se pressent autour de lui comme s’ils craignaient de