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L’USCOQUE.

que Giovanna avait osé. Il la tint captive dans ses appartemens et n’alla plus jamais s’informer d’elle. Naam essaya en vain de l’adoucir en sa faveur. Cette fois Naam fut sans persuasion, et Orio lui sembla manquer de confiance et rouler en lui-même quelque sinistre dessein.

Les soins de Naam ont guéri la blessure d’Orio en peu de jours. La mort d’Ezzelin paraissait constatée ; nulle part on n’a retrouvé aucun indice qui ait pu faire croire à son salut ; s’il était possible d’échapper à la férocité impétueuse des pirates, il ne le serait pas d’échapper à la haine réfléchie de Soranzo. Giovanna ne se plaint plus ; elle ne paraît plus souffrir ; elle ne se penche plus les soirs à sa fenêtre ; elle n’écoute plus les bruits vagues de la nuit. Quand Naam lui chante les airs de son pays en s’accompagnant du luth ou de la mandore, elle n’entend pas, et sourit. Quelquefois elle tient un livre et semble lire. Mais ses yeux restent fixés des heures entières sur la même page, et son esprit n’est point là. Elle est plus distraite et moins abattue qu’avant la mort d’Ezzelin. Souvent on la surprend à genoux, les yeux levés vers le ciel et ravie dans une sorte d’extase. Giovanna a trouvé enfin le calme du désespoir ; elle a fait un vœu ; elle n’aime plus rien sur la terre. Elle semble avoir recouvré la volonté de vivre. Déjà elle redevient belle, et la pourpre de la santé commence à refleurir sur son visage.

Morosini a appris le désastre d’Ezzelin, et son ame s’indigne de l’insolence des pirates. La perte de ce noble et fidèle serviteur de la république remplit de douleur l’amiral et toute l’armée. On célèbre pour lui un service funèbre sur les navires de la flotte vénitienne, et le port de Corfou retentit des lugubres saluts du canon, qui annoncent à l’armée la triste fin d’un de ses plus vaillans officiers. On murmure contre l’inaction et la lâcheté de Soranzo. Morosini commence à concevoir des soupçons graves ; mais sa prudence scrupuleuse commande le silence. Il envoie à son neveu l’ordre de venir sur-le-champ le trouver pour lui rendre compte de sa conduite, et de laisser le commandement de son île et de sa garnison à un Mocenigo qu’il envoie à sa place. Morosini ordonne aussi à Soranzo de ramener sa femme avec lui, et de laisser à Mocenigo la galéace qu’il commandait et dont il a fait si peu d’usage.

Mais Soranzo, qui entretient des espions à Corfou et dont les messagers rapides devancent l’escadre de Mocenigo, a été averti à temps. Il n’a pas attendu jusqu’à ce jour pour mettre en sûreté les riches captures qu’il a faites de concert avec Hussein et ses associés. Il a converti toutes ses prises en or monnayé. Une partie est déjà rendue