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POLITIQUE DE LA FRANCE EN AFRIQUE.

faite ; son crédit en a été ébranlé ; on n’ose plus s’attacher à lui comme au maître de l’avenir ; on commence à le voir ce qu’il est, un vassal plus hardi que puissant, placé sous la main de la France, et pouvant être tous les jours écrasé à Médéah par une expédition au-delà de l’Atlas, poursuivi dans la vallée du Chélif, rejeté dans la province d’Oran, et obligé de s’y défendre à la fois du côté de l’est et du côté du nord. Toutes ces idées ont dû donner essor aux causes permanentes qui rendent si difficile l’élévation d’un chef arabe sur la tête de ses égaux. Les jalousies contenues, les mécontentemens cachés, les vieilles divisions momentanément étouffées, ont dû commencer à se faire jour. Le seul fait de la résidence habituelle de l’émir à Médéah, quelque commandé qu’il fût par la nécessité de se rapprocher des frontières de Constantine, et de faire front à notre position centrale à Alger, a dû refroidir les populations de la province d’Oran et attiédir leur attachement. Tout indique que l’émir se sent affaibli, et la docilité nouvelle avec laquelle il a cédé à quelques exigences du maréchal, et cette ambassade à Paris, qui pouvait bien avoir pour but d’obtenir des relations directes avec le cabinet, et de se débarrasser ainsi d’une politique aussi secrète, aussi clairvoyante, aussi inexorable que celle du gouverneur ; et cette expédition lointaine sur les frontières du désert, qui, parmi d’autres motifs, pourrait aussi avoir été prescrite à l’émir par la nécessité d’occuper et de raffermir des fidélités chancelantes, de suspendre et d’étouffer des germes alarmans de division. Telle est la position d’Abd-el-Kader, que peut-être n’aurait-il pu sans inconvénient se mettre lui-même à la tête de cette expédition ; car sa tâche est de tous les momens, et ne peut être un instant abandonnée. Qu’on le sache bien, un chef comme lui ne règne qu’à la condition de courir sans cesse d’un bout à l’autre de son territoire, visitant chaque tribu, négociant avec les chefs, apaisant l’un, gagnant l’autre, à peu près comme un candidat au milieu de ses électeurs. Le fanatisme national et religieux, voilà le seul moyen pour l’émir de s’élever au-dessus de cette misérable nécessité, s’il avait pu parvenir à l’exciter. Mais pour cela il fallait une guerre à mort contre nous. Il y a contradiction à prêcher aux Arabes la haine des infidèles et des étrangers, et à être en paix avec ces étrangers et ces infidèles, et à reconnaître leur souveraineté. L’émir est enfermé dans un cercle vicieux, et de là les difficultés qu’il rencontre. Toutes ces considérations nous font penser que, la paix se prolongeât-elle beaucoup, Abd-el-Kader ne parviendrait de long-temps à réaliser, d’une manière solide et redou-