Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/616

Cette page a été validée par deux contributeurs.
612
REVUE DES DEUX MONDES.

nous avons trop de moyens de le punir, pour ne pas le réduire à la prudence, si nous le voulons bien. Notre politique dans l’est de l’Algérie est donc parfaitement déterminée. Elle doit être suivie sans hésitation, sans impatience, sans découragement. Nous pensons que le succès la couronnera.

Si l’occupation de Constantine domine tout dans l’est de la régence, il en est de même du traité de la Tafna dans l’ouest. Toute notre situation dans les trois provinces d’Oran, d’Alger et de Titery en dérive. Ici nous avons un rival, Abd-el-Kader, et avec ce rival un traité. Comment devons-nous nous conduire dans nos rapports avec l’émir tant que le traité subsistera ? Dans quel cas faudra-t-il le considérer comme rompu, et qu’y aura-t-il à faire alors ? Telles sont les questions qui s’élèvent, relativement à cette partie de la Régence, et que la politique de la France doit sérieusement étudier.

Les projets d’Abd-el-Kader sont parfaitement évidens : il les dissimule ; mais sa position les indique, et tous ses actes les révèlent. Entre la domination turque abattue et la domination française naissante, son but est de relever la domination arabe. On s’étonne d’abord de l’audace d’une telle entreprise ; deux choses l’expliquent toutefois : l’ignorance des forces de la France au moment où elle a été conçue, et la conviction qu’elle évacuerait l’Afrique. Pour l’exécuter, avant tout il fallait à l’émir la paix. La guerre ne lui laissait pas le temps d’asseoir son influence sur les tribus ; n’étant et ne pouvant être heureuse, elle cessait d’être un moyen de grandeur et devenait une cause d’affaiblissement ; de plus, elle conduisait nécessairement la France à occuper les villes de l’intérieur, et notre présence dans ces villes isolait les tribus et nous les soumettait ; enfin, dans l’hypothèse de l’évacuation de l’Algérie, elle était inutile ; ce n’est pas la peine de combattre un ennemi qui va s’en aller. L’émir devait donc vouloir la paix ; il l’a voulue, il l’a obtenue, et elle lui a été doublement profitable, car l’ayant obtenue, battu, plus avantageuse qu’il n’aurait pu l’espérer victorieux, il s’est habilement servi de cette bonne fortune en l’expliquant aux indigènes par notre dessein d’abandonner l’Algérie. Dès-lors on a vu se développer librement la politique de l’émir. Unir en un seul corps toutes les tribus arabes de la Régence, tel est le but prochain de cette politique ; tourner contre nous, dans un moment favorable, toutes les forces de cette coalition pour nous chasser de l’Afrique, si nous ne prenions pas de nous-mêmes le parti de l’évacuer, tel est son but ultérieur ; régner sur l’Afrique, délivrée des Turcs par les Français, et des