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POLITIQUE DE LA FRANCE EN AFRIQUE.

prétentions de la Porte peuvent bien être impuissantes, elles ne sont pas éteintes ; l’hommage que lui rendait le dey d’Alger en est le fondement, et, depuis que nous sommes dans la Régence, plus d’un agent l’a parcourue en son nom, pour y exciter contre nous l’hostilité des croyans. L’émir lui-même est obligé de se prémunir contre ces intrigues, et ce n’est plus pour le sultan, c’est pour l’empereur de Maroc, second chef religieux de l’islamisme, qu’il fait prier ses sujets. Or, toutes ces intrigues et tous ces agens partent de Tunis, c’est par là qu’ils passent, ce qui indique combien nous devons nous défier de la maison qui y règne. Peut-être même des tentatives plus sérieuses ont-elles été projetées, et ont-elles exigé la démonstration récente de notre escadre. D’ailleurs, des changemens sont survenus dans la famille de Tunis, qui rendraient encore plus dangereux un tel arrangement. En 1830, le bey régnant avait usurpé le pouvoir au détriment de son neveu ; il voulait pour celui-ci le beylikat de Constantine, afin d’éloigner un concurrent à son fils : c’était donc un ennemi à lui et à son successeur qu’il nous envoyait. Depuis, ce bey est mort ; son fils lui a succédé ; celui-ci a pris le parti, si nous ne nous trompons, de faire étrangler son cousin. La situation est donc tout autre, et ce ne serait plus qu’au bey lui-même que Constantine pourrait être cédée. Nouvelle raison pour ne plus songer à une combinaison qui, dans toutes les suppositions, eût été souverainement impolitique.

Les deux seuls partis qui puissent balancer à Constantine celui de la conservation, sont donc le rétablissement d’Achmet ou l’institution d’un bey indigène. Ces deux partis nous semblent aussi inacceptables l’un que l’autre.

Ce qui a pu séduire à l’idée de rétablir Achmet, c’est cette vue toute simple de recréer là le parti turc et de l’opposer dans l’intérieur au parti arabe. Achmet et l’émir sont de mortels ennemis. Tout défait qu’est le premier, la haine d’Abd-el-Kader va le chercher en ce moment sur les limites du désert. Avec ces deux chefs, l’un à Constantine, l’autre à Médeah, il n’y aurait pas à craindre une coalition, et en balançant l’un par l’autre, nous pourrions les tenir assujétis tous les deux. Voilà le beau côté du système ; mais c’est le seul. Du reste tout est contre. Il ne faut pas rétablir Achmet, d’abord parce que nous l’avons renversé, et que c’est une conduite pitoyable d’apprendre à ses ennemis que la résistance leur sera aussi utile que la soumission. Il ne faut pas le rétablir, en second lieu, parce que c’était un tyran féroce, détesté par les tribus arabes, qui ne se sont soumises à nous qu’à la condition que nous ne le relèverions jamais,