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POLITIQUE DE LA FRANCE EN AFRIQUE.

dent, et d’où notre domination est appelée à rayonner sur les tribus des campagnes. Ces villes sont admirablement situées pour ce but, chacune d’elles, à commencer par Tlemcen et à finir par Médéah, étant placée, autant que nous pouvons en juger, aux points mêmes où des militaires voudraient s’établir pour commander le pays. Quant à celles que nous occupons, celles-là deviendront à la longue européennes où les Européens ont déjà pénétré, et il ne servirait à rien de s’y opposer à l’émigration des habitans maures. C’est à celles-là qu’il faut borner la faculté de s’établir en Algérie, accordée aux Européens ; c’est également autour de celles-là qu’il faut fixer et limiter le champ de la colonisation ; elles sont assez nombreuses pour satisfaire à ce double besoin. Pour les autres, qui, comme Constantine, Bougie, Médéah, Coléah, ne contiennent encore que des garnisons, il faut bien se garder d’y laisser pénétrer les Européens autrement qu’en passant. C’est dans celles-là qu’il faut appliquer dans toute sa rigueur le plan de conduite qu’ont suivi les Turcs, et que nous avons indiqué. Ce plan de conduite nous en conciliera infailliblement les habitans, et quand toutes ces villes seront unies par des routes, chose à laquelle les Turcs n’ont jamais songé, mais qu’il est permis d’attendre du génie de la France et du temps, pour peu que notre politique envers les Kabaïles et les Arabes n’ait pas été absurde, la Régence sera bien près de nous appartenir.

Si maintenant, de la conduite à tenir envers les Maures, nous passons à celle qui doit être adoptée envers les populations arabes et kabaïles, nous en trouverons encore les principes dans l’exemple des Turcs et dans notre propre expérience depuis sept ans.

Rêver, en Afrique, un assujétissement des populations semblable à celui dont nos populations d’Europe sont susceptibles, c’est s’abuser. L’élément social, en Europe, c’est la famille ; en Afrique, c’est la tribu. Toutes les différences entre les deux sociétés naissent de là. La forte cohésion et l’homogénéité des sociétés européennes tiennent à la petitesse des élémens qui les composent. Quand on veut, dans l’ordre physique, amalgamer plusieurs corps, il faut commencer par les broyer ; les nations européennes sont socialement broyées ; elles sont faites de cette poussière qu’on appelle les familles, et c’est pourquoi elles sont compactes. Les nations africaines n’en sont pas arrivées là ; comme elles se composent de tribus, non de familles, la cohésion des parties y est très imparfaite, et elles se séparent au moindre mouvement. De là deux conséquences, la première, qu’elles offrent une bien moindre résistance à la conquête que les nations eu-