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POLITIQUE DE LA FRANCE EN AFRIQUE.

des habitans ; la seconde, que vous ne viendrez point faire concurrence au commerce et à l’industrie qui les font vivre. L’histoire de la domination turque indique ces vérités ; tous les faits qui se sont passés en Afrique depuis que nous y sommes les confirment. Parcourez par la pensée toutes les villes où nous avons pénétré, la population maure n’est intervenue dans la défense d’aucune ; ce sont toujours ou des Turcs, ou des Arabes, ou des Kabaïles qui se sont fait tuer sur leurs murs. Les villes prises, nous n’avons trouvé que soumission et obéissance de la part de cette même population. Souvent, avant de nous connaître, on l’a vue émigrer, ce qui est tout simple, car on nous peignait à elle comme des ennemis féroces, qui tuaient et détruisaient tout ; mais toujours elle est revenue dans ses foyers et s’est montrée docile. Quant à de l’attachement pour nous, elle est loin d’en avoir conçu, et voici pourquoi ; c’est que nous n’avons point observé les deux conditions que je signalais tout à l’heure. À Alger, à Bone, à Oran, dans toutes les villes occupées par nous avant l’expédition de Constantine, la furie française n’a rien respecté ; religion, mœurs, propriétés, tout a été traité sans ménagement. On s’est emparé des mosquées, on a exproprié les habitans pour créer des rues, on a détruit les vergers, dévalisé les maisons de campagne, frappé d’iniques contributions, essayé tour à tour vingt modes d’administration. En un mot, notre occupation a commencé par être partout un ravage pour les choses, un outrage pour les personnes, une guerre aux mœurs, aux idées, aux habitudes. Mais ce n’étaient là que des imprudences administratives, et qui, par cela même, étaient réparables. Un mal plus grand a été produit par l’invasion de la population européenne dans les villes. On sait ce qu’a été en général cette population, et, sauf d’honorables exceptions, quel mélange elle a présenté de la lie de tous les peuples. Mais eût-elle été aussi morale, aussi honnête qu’elle l’était peu, sa présence seule aurait suffi pour nous aliéner les Maures. En effet, avant notre venue, la prospérité de toutes les villes de la côte dérivait de deux sources : l’une, illégitime, la piraterie ; l’autre, légitime, l’industrie et le commerce. Notre conquête a tari la première ; l’invasion de la population européenne va tarir la seconde. En peu d’années, la concurrence de nos négocians anéantira le commerce et l’industrie des Maures dans toutes les villes où il sera permis à ceux-là de s’établir. C’est en touchant ce ressort, beaucoup plus qu’en alarmant les consciences, que les émissaires d’Abd-el-Kader ont réussi auprès des habitans maures d’Alger, et ont accéléré ce mouvement d’émigration qui infailliblement continuera. Il y avait de vingt-cinq à trente