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côte d’Afrique depuis les Carthaginois. La dernière qui ait fourni son tribut au mélange est celle de ces Arabes qui, chassés d’Espagne aux XVe et XVIe siècles, vinrent chercher un refuge dans les villes de la Barbarie, et en doublèrent tout à coup la population épuisée. De là vient que dans la race maure c’est l’élément arabe qui domine, mais l’élément arabe-espagnol, tout différent de l’élément arabe-africain ; car en Espagne les Arabes s’étaient civilisés, tandis qu’en Afrique ils n’ont jamais quitté la vie errante que menaient leurs pères en Asie. Aussi, quoique en partie arabe, la race maure des villes n’a rien de commun, en Algérie, avec la race arabe des campagnes. C’est une population à part, soumise à une civilisation qui lui est propre, et que cette civilisation sépare profondément des populations de la campagne, qui en ont une autre. Aussi est-ce en vain que ces populations sont en contact depuis des siècles ; il n’y a jamais eu entre elles le moindre commencement de fusion ; elles se sont senties trop incompatibles même pour s’asservir, et jamais, en Afrique, les populations des villes n’ont été soumises à celles des champs, ni celles des champs à celles des villes. Elles ont eu quelquefois des maîtres communs ; mais ces maîtres ont toujours dû se résigner à régner sur deux peuples. Ces deux peuples communiquent entre eux : les Arabes, les Kabaïles, viennent dans les villes vendre leurs produits, louer leurs bras ; les Maures vont, pour leur commerce, visiter les tentes des Arabes, les villages des Kabaïles. Mais, le but atteint, chacun retourne à sa civilisation, et il n’y a point de conversion de l’une à l’autre. Les villes et les jardins qui les entourent sont donc comme des oasis au milieu de l’Algérie : là vit une race, là existe une civilisation, la race, la civilisation des Maures. Hors de ces oasis, à quelques portées de fusil de ces enceintes étroites, commence un autre monde, que se partagent deux autres civilisations, celle des Arabes et celle des Kabaïles.

On ne peut guère douter que les Kabaïles ne soient les restes de ces indomptables Numides qui fatiguèrent pendant trois cents ans les armes, la politique et l’opiniâtre persévérance des Romains. Jusqu’à quel point Rome parvint-elle à les soumettre ? Il serait difficile de le dire. À voir les débris des voies romaines qui parcouraient dans tous les sens l’Algérie, on ne saurait douter qu’après une longue lutte ce grand territoire n’ait été complètement pacifié par les maîtres du monde. Mais que les indigènes aient été transformés en Romains comme les Gaulois, qu’ils en aient accepté les lois, adopté les mœurs et la civilisation, c’est ce qui n’est nullement probable ; car alors la