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ORIGINES DU THÉÂTRE.

« En effet, Ariane, parée comme une jeune épouse, entre dans la salle et se place sur le siége. Incontinent un air de flûte annonce, sur un rhythme bachique, l’arrivée du dieu. Alors on admira l’habileté du maître d’orchestre. Aux premiers sons qu’Ariane entendit, chacun put voir à sa contenance le plaisir qu’elle éprouvait. Néanmoins elle n’alla point au-devant de son époux, et ne se leva même pas ; mais il était évident qu’elle se contenait à peine. Dès que Bacchus l’aperçut, il mit dans sa danse l’expression de l’amour le plus passionné ; il s’assit sur ses genoux, la prit dans ses bras et l’embrassa. Elle, tout en rougissant, lui rendait amoureusement ses caresses. Les convives, à cette vue, applaudissaient et ne pouvaient retenir leurs cris. Mais, quand Bacchus et Ariane se furent levés, c’est alors qu’il fallait voir les gestes de ces amans transportés. Les spectateurs, en contemplant ce Bacchus si beau et cette Ariane si belle, qui ne s’en tenaient pas au simple badinage, mais qui joignaient amoureusement leurs lèvres et s’embrassaient à bon escient, éprouvaient l’émotion la plus vive ; il leur semblait entendre Bacchus demander à Ariane si elle l’aimait, et Ariane assurer Bacchus qu’il était aimé ; si bien que tous auraient juré que ce jeune garçon et cette jeune fille s’aimaient d’un amour réel, car ils ne ressemblaient pas à des acteurs à qui l’on a enseigné leurs gestes, mais bien plutôt à de vrais amans impatiens de satisfaire des désirs long-temps contenus. Enfin, à les voir se tenir étroitement enlacés comme deux époux allant à la couche nuptiale, ceux des convives qui n’étaient pas mariés se promirent de l’être bientôt, et ceux qui l’étaient montèrent à cheval pour aller rejoindre leurs épouses et répéter la scène dont ils venaient d’être témoins… Ainsi se termina le banquet de Callias[1]. »

BANQUETS PENDANT LA SECONDE ÉPOQUE DES ROYAUTÉS GRECQUES.

Mais ce fut surtout dans les palais des rois grecs de la seconde époque, chez Alexandre, tyran de Phères, en Sicile à la cour des Hiérons, en Égypte à celle des Ptolémées, en Macédoine dans le palais d’Archélaüs, de Philippe et des successeurs d’Alexandre, en Syrie chez les Attales, que l’on trouve le plus complet développement du drame aristocratique.

Le palais de Denys de Syracuse était rempli de chanteurs et de bouffons, qu’on appelait dionysocolaces, c’est-à-dire, parasites de Denys, ou de Bacchus, titre que portaient, dans ce dernier sens, tous les artisans dionysiaques. La troupe d’acteurs et de rhapsodes qu’entretenait ce prince était presque uniquement occupée à déclamer ses vers, non-seulement en Sicile, mais encore à Athènes et à Olympie.

Dans les dernières années de la vie d’Alexandre, les banquets de ce monarque n’étaient pas seulement des orgies animées par des musiciens et des comédiens de tous genres ; c’étaient de véritables mascarades : « Souvent, dit Ephippe, Alexandre se mettait à table habillé en dieu ; il prenait tantôt

  1. Xenoph. Sympos., cap. IX. — Cf. Bœttiger, De Ariadne et Bacchi saltatione mimicâ, in Fr. Aug. Bornemanni edit. Xenoph. Conv., pag. 223, seqq.