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REVUE. — CHRONIQUE.

se retirer, en déclarant toutefois que la crise ministérielle serait grave à cause de l’espèce de désistement général des candidatures les plus hautes et les plus appuyées, à quoi un journal tout nouvellement enrôlé dans l’opposition, mais qui a déjà le mot d’ordre, répond avec candeur que les hommes politiques doivent rendre courage à leurs amis, déclarer à quelles alliances ils auront recours pour faire un cabinet, que leur devoir est de prendre pitié de cette pauvre France qui leur tend les bras, et qui meurt si la coalition ne vient la secourir. C’est au mieux ; mais le ministère fera bien de s’adresser à la chambre, qui pourrait bien avoir aussi un petit avis à donner en tout ceci. Or, une loi toute politique va se discuter devant elle. Il s’agit de l’effectif de l’armée de l’intérieur, qui a été diminué par le contingent envoyé en Afrique. Le ministère demande que l’effectif de l’armée soit complété. Si sa demande est rejetée, il faudra retirer le complément de troupes qui se trouve en Afrique, ce qui équivaut à l’abandon d’Alger ; sinon, il faudra laisser notre armée au-dessous du chiffre fixé pour ses cadres.

Dans le premier cas, il s’agit de l’honneur de la France, dans l’autre, de sa sûreté. Ni dans le premier ni dans le second, le ministère ne fléchira. Le rapporteur est un membre de l’opposition. La coalition se dit maîtresse de la chambre, c’est le cas de le montrer. Le crédit refusé, le ministère se retirera. Les portefeuilles resteront abandonnés à la chambre, immédiatement après le scrutin, si le vote est contraire. La coalition est libre de rapprocher la discussion, puisque le rapporteur est de ses amis. Qu’elle se hâte donc. Le ministère n’a pas moins d’impatience qu’elle. On verra ce jour-là s’il a perdu le respect de soi-même, et s’il hésitera. Jusque-là le ministère continuera à faire les affaires du pays, et à les bien faire, comme par le passé ; à réparer le mal que font les ambitions désordonnées qui s’agitent, à conjurer le trouble qu’elles évoquent, et à resserrer par ses négociations les alliances salutaires qu’elles affaiblissent par leurs votes.

Quant à la collision que les partis coalisés se réjouissent déjà de voir naître entre les deux chambres au sujet de la réduction des rentes, le ministère s’efforcera de l’empêcher. En principe, le ministère a toujours appuyé la conversion. Entre lui et la chambre des députés, il ne s’agissait que d’opportunité. Il défendra le principe de la réduction, à la chambre des pairs, et il y a lieu de croire que son influence, bien reconnue dans cette assemblée, le fera triompher. S’il s’élève, après cela, une objection quant à l’opportunité, ce sera, il est vrai, une différence d’opinion entre les deux chambres, mais non ce qu’on appelle une collision. Les trois pouvoirs ont-ils donc été institués pour être toujours d’accord sur toutes les questions ? Non, car alors un seul pouvoir suffirait. La chambre des députés a rempli ses engagemens envers ses électeurs en exigeant la conversion immédiate. Si elle était retardée, ce serait du fait de l’autre chambre. Ce n’est pas un changement de ministère qu’il faudrait pour remédier à ceci, mais un changement de la chambre des pairs. Or, on ne peut changer la majorité de cette chambre, d’après la constitution (et sans doute la chambre des députés ne veut pas en