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REVUE. — CHRONIQUE.

du nord ou du midi, vous aurez alors une chambre aveugle, ou myope pour vrai dire, comme elle l’a été dans la discussion des chemins de fer. C’est à ce point que le gouvernement fédéral, la plus triste et la plus étroite de toutes les organisations politiques, la plus impropre à notre pays, s’établirait, à l’aide de la jalousie des localités, si jamais elle pouvait l’être en France. Nous jouirions ainsi de tous les inconvéniens du fédéralisme, qui sont les inimitiés locales, sans posséder ce qui en fait le lien.

S’il est naturel qu’un esprit tel que celui de M. Berryer ait vu la question des chemins de fer d’un point aussi haut qu’il l’a fait, si un certain nombre de membres de la chambre sont excusables de l’avoir envisagée trop étroitement, en est-il ainsi des capacités de la coalition, et leur serait-il facile de dire le rôle qu’elles ont joué ?

L’avis de M. de Rémusat, qui est de ne rien laisser faire au ministère, ni chemins, ni canaux, ni monumens, a prévalu, sans doute, dans la coalition. M. Duchâtel déclarait, dans la dernière session, que les travaux par l’état devaient être préférés, parce que s’il y a des bénéfices, l’état les emploiera à faire d’autres travaux ; s’il y a perte, elle ne sera pas supportée par le commerce et l’industrie. C’était un avis un peu exclusif ; mais enfin c’était celui de M. Duchâtel. Cette année, M. Duchâtel est exclusif dans l’autre sens. M. Duvergier de Hauranne, qui écrit ses discours long-temps d’avance, comptant que le ministère se prononcerait exclusivement contre les compagnies, avait entassé une montagne d’argumens en leur faveur. C’est ce discours que M. Duvergier est venu lire en réponse à l’excellente improvisation de M. Martin (du Nord), qui proposait de donner les travaux aux compagnies en gardant deux lignes principales pour l’état. Pendant ce temps, M. Thiers, qui a toujours été pour l’exécution des travaux par l’état, disait à ses amis que, s’il montait à la tribune, il donnerait la chair de poule à la chambre, tant il lui causerait d’effroi, en déroulant le tableau des inconvéniens qui résulteraient de l’abandon des travaux aux compagnies ! Enfin, comme en toutes choses, la coalition était un chaos d’opinions contradictoires à elles-mêmes et entre elles.

Mais on s’entend sur un point. Un principe est commun à tous les membres de la coalition, principe populaire, et formulé en proverbe par la sagesse des nations. Il s’agit de faire vider leurs places aux ministres et de s’y mettre. Peu importe donc la sûreté du pays, l’avenir de la France ! On y pourvoira quand on sera ministre. On a bien assez de capacité pour cela. Les chemins de fer pourraient mener le commerce du nord vers le midi, à travers la France, porter rapidement une armée auxiliaire sur les pays de notre rayon politique, faire voler, en peu d’heures, nos troupes sur nos frontières menacées ; rien de mieux, mais les chemins de fer ne menaient pas la coalition au ministère, et la coalition les a condamnés.

Ainsi, les hommes qui pouvaient le mieux triompher, dans la chambre, des petits instincts de localité, se sont servis, au contraire, de ces mêmes passions pour en venir à leurs fins. Les capacités, qui se sont élancées dans les