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procédé dans le Journal des Savans, est-ce jamais dans les articles de M. Daunou, de M. Villemain ou de M. Naudet ? Cette étude mesquine, qui met autant de prix à la connaissance exacte du ciron qu’à celle des fossiles anté-diluviens, peut être fort louable chez le naturaliste ; mais où conduirait en histoire l’abus d’une pareille manière ? Je me défie autant que personne de la méthode synthétique et du symbolisme, et, aux noms de Vico et de Herder, tout en admirant, je me rejette volontiers sur dom Vaissette et Mabillon. Mais est-ce bien répondre au vœu des chambres qui ont voté les fonds nécessaires à la Collection que de consacrer tant d’espace à des détails d’aussi mince valeur ? Le précieux plan de Paris sous Philippe-le-Bel, qui accompagne le texte de M. Géraud, ne suffisait-il point et ne pouvait-il pas le dispenser de trois cents pages qui n’en sont que le commentaire déjà connu ? Le glossaire, souvent puéril, des noms de professions, joint à la taille de 1292, n’avait-il pas déjà été tenté par M. de la Tynna ? Lebeuf, dans son Histoire du Diocèse de Paris, et Méon, dans son édition des Fabliaux de Barbazan, n’avaient-ils pas imprimé tour à tour le Dit des rues de Guillot de Paris, reproduit par M. Géraud ? Pourquoi publier de nouveau des documens qui sont entre les mains de tout le monde ? Quant au curieux dictionnaire de Jean de Garlande qui termine le volume, les notes qui l’accompagnent ne m’ont pas convaincu que la langue vulgaire du moyen-âge fût, lors de la publication, très familière à l’éditeur, je le prouverais au besoin.

M. Buchon avait déjà inséré, en 1827, à la suite de son édition de la Chronique métrique de Godefroy de Paris, le livre de la taille de 1313. La publication de M. Géraud n’a donc qu’une valeur exclusivement comparative, et il n’y a en elle rien de bien nouveau qu’une antériorité de vingt-un ans, et encore sous le règne du même roi. Si M. Géraud avait pu joindre à son édition la taille de quelques-unes des années intermédiaires, S’il n’avait pas ignoré, par exemple, l’existence, dans un de nos grands dépôts littéraires, des cinq tailles de 1296 à 1300, découvertes par un des écrivains de ce temps les plus versés dans la littérature du moyen-âge, par le savant auteur du Supplément au roman de Renart, M. Chabaille, il serait à coup sûr résulté de là des rapprochemens lumineux, des renseignemens utiles sur l’organisation financière du XIIIe et du XIVe siècles. Mais ainsi isolé, mais appuyé presque exclusivement sur des notes topographiques, le document publié perd singulièrement de son prix. Le temps ajoute beaucoup sans doute à la valeur des moindres pièces, et il faut faire la large part de l’importance que donne l’âge, et que n’apprécient pas les contemporains au point de vue de l’histoire ; mais pourtant croit-on que dans cinq cents ans, par exemple, la postérité attache, toute proportion gardée, un éminent intérêt au rôle des contributions tenu par quelque percepteur de 1838 ?

Au résumé, n’est-il pas fâcheux de voir un jeune homme de savoir, et, dit-on, d’esprit, céder ainsi à la première ardeur inexpérimentée de la science, et faire dégénérer, en une compilation minutieuse une publication qui avait besoin d’être resserrée dans de sévères limites ? Il faut espérer toutefois qu’un