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l’histoire le raconte et comme je l’ai appris de mes pères, dans l’origine le peuple souverain créa des rois par son suffrage, et il préféra particulièrement les hommes qui surpassèrent les autres en vertu et en habileté. En effet, chaque peuple a élu un roi pour son utilité[1] ; » et plus loin encore : « Je prétends que l’administration du royaume et la tutelle, non le droit ou la propriété, sont accordées pour un temps au peuple et à ses élus. J’appelle peuple non-seulement la populace et ceux qui sont simplement sujets de telle couronne, mais encore tous les hommes de chaque état[2]. »

Au XVe siècle, c’étaient là sans doute des paroles hardies, qui devaient être bientôt dépassées par la Ligue, mais qui, proclamées en face de la royauté et de la noblesse, sembleraient confirmer quelque peu cette parole absolue de Mme de Staël, que rien n’est nouveau en France, sinon le despotisme. Combien toutefois cette éloquence politique, vague et déclamatoire, n’est-elle pas loin des sermons incisifs, ironiques, grotesques même, que Maillard, que Menot, que Raulin récitaient dès-lors dans la chaire chrétienne. On s’est étonné de trouver dans la bouche du seigneur de La Roche des principes qui ne devaient triompher qu’en 89 ; mais n’y a-t-il pas bien autrement de force et de hardiesse, par exemple, en ces phrases du moine Guillaume Pépin, dans ses Sermons sur la destruction de Ninive ? « Est-ce chose sainte que la royauté ? Qui l’a faite ? Le diable, le peuple et Dieu ; Dieu, parce que rien ne se fait sans son bon vouloir ; le diable, parce qu’il a soufflé l’ambition et l’orgueil au cœur de certains hommes ; le peuple, parce qu’il s’est prêté à la servitude, qu’il a donné son sang, sa force et sa substance, pour se forger un joug. Quelques hommes sortis de ses rangs se dévouèrent à la cause de l’ambition et de l’orgueil. De là l’origine de la noblesse, car les rois s’associèrent les instrumens de leurs passions, les premiers nobles, comme Lucifer s’était associé ses démons. Mais, nobles ou rois, quel usage ces maîtres ont-ils fait de leur pouvoir ? Voyez les princes, les seigneurs, ils pressurent leurs vassaux et ruinent les marchands par des droits de péage ; ils volent, et leurs peuples useraient d’un droit légitime en refusant de payer les impôts. Les rois valent-ils mieux ? Non certes. Ils sont prodigues, cruels, ils attentent à la liberté de leurs sujets, et donnent ainsi le droit de les renverser, car les sujets ont pour eux le droit divin, qui créa la liberté[3]. » J’ai traduit textuellement, et ces paroles ont été dites en chaire, presque à la même date que le discours du seigneur de La Roche aux états de Tours. Mais parce qu’on retrouve ainsi quelques idées révolutionnaires dans des sermons oubliés du XVe siècle, est-ce à dire que l’église ait jamais été décidément l’antagoniste de la royauté ? Non sans doute, car par là elle eût manqué à sa mission. Ce que je tiens seulement à établir, c’est qu’il n’y a rien d’étrange, d’inoui dans les rares et pâles

  1. Pag. 147.
  2. Pag.. 149.
  3. Guillelmi Pepin, Sermones de destructione Ninivæ. Paris, 1525, in-8o, goth. folio 59, 61, 179.