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LETTRES SUR L’ÉGYPTE.

Nul doute que, chimiquement, l’Égypte n’est point exploitée comme elle pourrait l’être. On laisse perdre une foule de substances dont l’industrie pourrait tirer un très bon parti. La vallée du Nil est une contrée éminemment propre aux travaux de la chimie ; les compositions et les décompositions s’y opèrent avec rapidité ; les agens naturels y sont puissans ; l’eau, la chaleur, l’état hygrométrique et électrique de l’atmosphère, les produits du sol, le système végétal et animal, tout fournit à la chimie de vastes ressources. Il y a constamment en Égypte une masse considérable de matières en putréfaction, dont la chimie pourrait s’emparer avantageusement. Elle tendrait ainsi une main secourable à l’hygiène et à la santé publique. Des noyaux de dattes, on pourrait extraire de l’huile ; les os, qu’on y trouve en si grande abondance, pourraient donner de la colle, du noir, de la gélatine ; avec les écorces de pastèques, qui pourrissent partout, on ferait d’excellentes confitures ; avec les feuilles de maïs, on ferait du papier, dont on pourrait fournir tout l’Orient[1] ; enfin, on trouverait beaucoup d’autres produits qui, observés seulement avec quelque attention, ne manqueraient pas de donner lieu à des découvertes utiles aux arts et à l’industrie. Les Arabes sont peu observateurs et peu entreprenans ; ils sont plus aptes à recevoir l’impulsion qu’à la donner. Quant aux Européens, la plupart de ceux qui sont au service du pacha se laissent aller assez volontiers à l’indolence, parce qu’ils ne sont pas excités par le mobile auquel l’Européen est aujourd’hui habitué d’obéir, l’intérêt. Au reste, si un Européen voulait fonder une entreprise manufacturière, il ne pourrait guère compter sur l’avenir ; car, l’exploitation n’existant que sous le bon plaisir du pacha, celui-ci serait maître de s’en emparer quand il le voudrait, ce qu’il ne manquerait pas de faire, s’il apercevait qu’il y eût des bénéfices. Cet état de choses paralyse tout développement spontané d’une industrie un peu large, et les Européens ne peuvent exercer en Égypte que des métiers, comme les ouvriers des bazars et des corporations, que Mohammed-Ali n’a pu faire entrer dans sa grande unité. Nous examinerons plus tard quel est l’état de ces petites industries restées libres, et nous jetterons un coup d’œil sur l’organisation de ces corporations musulmanes, intéressantes à étudier pour l’Europe industrielle de nos jours.

Si maintenant on nous posait cette question : Mohammed-Ali, le pacha industriel, fait-il mieux que ne feraient les Européens ? Nous répondrions avec impartialité : Techniquement, les Européens feraient mieux, puisque Mohammed-Ali ne fait que par les Européens, et que si, à leur supériorité natu-

  1. En 1836, le chiffre du papier importé à Alexandrie s’est élevé à 
    1,166,000 francs.
    À Beyrout 
    284,300
    1,447,300 francs.

    L’établissement d’une papeterie de maïs en Égypte, ou, mieux encore, en Syrie, où l’on trouverait des cours et des chutes d’eau très propres à ce genre de fabrication, serait une entreprise qui enrichirait en peu d’années son fondateur.