Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/506

Cette page a été validée par deux contributeurs.
502
REVUE DES DEUX MONDES.

proposition, disant que pour rien au monde, elle ne voudrait laisser soupçonner à son oncle qu’elle n’était point heureuse avec Orio, car la moindre plainte de sa part le ferait infailliblement tomber dans la disgrace de l’amiral. Elle soutint d’ailleurs qu’Orio n’avait envers elle aucun mauvais procédé, et que si l’amour qu’elle lui portait était devenu son propre supplice, Orio ne pouvait être accusé du mal qu’elle se faisait à elle-même. Ezzelin se hasarda à lui demander si elle ne vivait pas dans une sorte de captivité, et s’il n’y avait pas une consigne sévère qui lui interdisait la vue de tout compatriote. Elle répondit que cela n’était point, et que pour rien au monde elle n’eût reçu Ezzelino lui-même, s’il eût fallu désobéir à Orio pour goûter cette joie innocente. Orio ne lui avait jamais témoigné de jalousie, et plusieurs fois il l’avait autorisée à recevoir quiconque elle jugerait à propos, sans même l’en prévenir.

Ezzelin ne savait que penser de cette contradiction manifeste, entre les paroles de Giovanna et celles de Léontio. Tout à coup le grand lévrier blanc, qui semblait dormir, tressaillit, se releva, et posant ses pattes de devant sur le rebord de la fenêtre, resta immobile, les oreilles dressées. — Est-ce ton maître, Sirius ? lui dit Giovanna. Le chien se retourna vers elle d’un air intelligent ; puis, élevant la tête et dilatant ses narines, il frissonna et fit entendre un long gémissement de douleur et de tendresse. — Voici Orio ! dit Giovanna en passant son bras blanc et maigre autour du cou du fidèle animal ; il revient ! Ce noble lévrier reconnaît toujours, au bruit des rames, le bateau de son maître ; et quand je vais avec lui attendre Orio sur le rocher, au moindre point noir qu’il aperçoit sur les flots, il garde le silence ou fait entendre ce hurlement, selon que ce point noir est l’esquif d’Orio ou celui d’un autre. Depuis qu’Orio ne lui permet plus de l’accompagner, il a reporté sur moi son attachement, et ne me quitte pas plus que mon ombre. Comme moi, il est malade et triste ; comme moi, il sait qu’il n’est plus cher à son maître ; comme moi, il se souvient d’avoir été aimé !

Alors Giovanna, se penchant sur la fenêtre, essaya de discerner la barque dans les ténèbres ; mais la mer était noire comme le ciel, et l’on ne pouvait distinguer le bruit des rames du clapotement uniforme des flots qui battaient le rocher.

— Êtes-vous bien sûre, dit le comte, que ma présence dans votre appartement n’indisposera point votre mari contre vous ? — Hélas ! il ne me fait pas l’honneur d’être jaloux de moi, répondit-elle. — Mais