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L’USCOQUE.

croyais du moins, car il me le disait, et ses paroles ont une éloquence et une conviction à laquelle rien ne résiste. Il prétendait que la gloire n’était qu’une vaine fumée bonne pour enivrer les jeunes gens ou pour étourdir les malheureux. Il avait fait la dernière campagne pour faire taire les sots et les envieux qui l’accusaient de s’énerver dans les plaisirs. Il s’était exposé à tous les dangers avec l’indifférence d’un homme qui se conforme à un usage de son temps et de son pays. Il riait de ces jeunes gens qui se précipitent dans les combats avec enthousiasme, et qui se croient bien grands parce qu’ils ont payé de leur personne et bravé des périls que le moindre soldat affronte tranquillement. Il disait qu’un homme avait à choisir dans la vie entre la gloire et le bonheur ; que, le bonheur étant presque impossible à trouver, le plus grand nombre était forcé de chercher la gloire ; mais que l’homme qui avait réussi à s’emparer du bonheur, et surtout du bonheur dans l’amour, qui est le plus complet, le plus réel et le plus noble de tous, était un pauvre cœur et un pauvre esprit, quand il se lassait de ce bonheur, et retournait aux misérables triomphes de l’amour-propre. Orio parlait ainsi devant moi, parce qu’il avait entendu dire que vous aviez perdu mon affection pour n’avoir pas voulu me promettre de ne point retourner à la guerre.

Il voyait que j’avais une ame tendre, un caractère timide, et que l’idée de le voir s’éloigner de moi aussitôt après notre mariage me fesait hésiter. Il voulait m’épouser, et rien ne lui eût coûté, m’a-t-il dit depuis, pour y parvenir ; il n’eût reculé devant aucun sacrifice, devant aucune promesse imprudente ou menteuse. Oh ! qu’il m’aimait alors ! mais la passion des hommes n’est que du désir, et ils se lassent aussitôt qu’ils possèdent. Très peu de temps après notre hyménée, je le vis préoccupé et dévoré d’agitations secrètes. Il se jeta de nouveau dans le bruit du monde, et attira chez moi toute la ville. Il me sembla voir que cet amour du jeu qu’on lui avait tant reproché, et ce besoin d’un luxe effréné qui le faisait regarder comme un homme vain et frivole, reprenaient rapidement leur empire sur lui. Je m’en effrayai, non que je fusse accessible à des craintes vulgaires pour ma fortune : je ne la considérais plus comme mienne, depuis que j’avais cédé avec bonheur à Orio l’héritage de mes ancêtres. Mais ces passions le détournaient de moi. Il me les avait peintes comme les amusemens misérables qu’une ame ardente et active est forcée de se créer, faute d’un aliment plus digne d’elle. Cet aliment seul digne de l’ame d’Orio, c’était l’amour d’une femme comme moi.