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personne, afin de ranimer par son exemple sa troupe découragée. Il redevint donc de capitaine soldat, et se précipita, le sabre au poing, dans le plus fort de la mêlée, au cri de Saint-Marc, Saint-Marc et en avant ! Il tua de sa main les plus avancés des assaillans, et suivi de tous les siens qui revinrent à la charge avec une nouvelle ardeur, il les fit reculer à leur tour. Le chef ennemi fit alors ce qu’avait fait Ezzelino. Voyant ses pirates en retraite, il se leva brusquement de son banc, empoigna une hache d’abordage, et s’élança contre les Vénitiens en poussant un cri terrible. Ceux-ci à son aspect s’arrêtèrent incertains ; Ezzelino seul osa marcher à lui. Ce fut sur un des ponts volans qui unissaient les deux navires que les deux chefs se rencontrèrent. Ezzelino allongea de toute sa force un coup d’épée au Missolonghi qui s’avançait découvert ; mais celui-ci para avec le manche de sa hache, et menaçait déjà du tranchant la tête du comte, lorsque Ezzelino, qui de l’autre main tenait un pistolet, lui fracassa la main droite. Le pirate s’arrêta un instant, jeta un regard de rage sur son arme qui lui échappait, éleva en l’air sa main sanglante en signe de défi, et se retira au milieu des siens. Ceux-ci, voyant leur chef blessé et l’ennemi encore prêt à les bien recevoir, enlevèrent rapidement les ponts d’abordage, coupèrent les amarres, et s’éloignèrent presque aussi vite qu’ils étaient venus. En moins d’un quart d’heure ils eurent disparu derrière les rochers d’où ils étaient sortis.

Ezzelino, dont l’équipage avait été très maltraité, croyant avoir satisfait à l’honneur par sa belle défense, ne jugea pas à propos de s’exposer de nuit à un nouveau combat, et alla mettre sa galère sous la protection du château situé dans la grande île ; la nuit tombait quand il jeta l’ancre. Il donna ses ordres à son équipage, et se jetant dans une barque, il s’approcha du château.

Ce château était situé au bord de la mer, sur d’énormes rochers taillés à pic, au milieu desquels les vagues allaient s’engouffrer avec fracas, et dominait à la fois toute l’île et tout l’horizon, jusqu’aux deux autres îles ; il était entouré, du côté de la terre, d’un fossé de quarante pieds, et fermé de partout par une énorme muraille. Aux quatre coins, des donjons aigus se dressaient comme des flèches. Une porte de fer bouchait la seule issue apparente qu’eût le château. Tout cela était massif, noir, morne et sinistre : on eût dit de loin le nid d’un oiseau de proie gigantesque.

Ezzelin ignorait que Soranzo eût échappé au désastre de Patras ; il avait appris sa folle entreprise, sa défaite et la perte de sa galère. Le bruit de sa mort avait couru, puis aussi celui de son évasion ;