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L’USCOQUE.

Corfou avec un équipage plus vaillant que nombreux. Sa traversée fut heureuse jusqu’à la hauteur de Zante. Mais là les vents d’ouest le forcèrent de quitter la pleine mer et de s’engager dans le détroit qui sépare Céphalonie de la pointe nord-ouest de la Morée. Il y lutta pendant toute une nuit contre la tempête, et le lendemain, quelques heures avant le coucher du soleil, il se trouva à la hauteur des îles Curzolari. Il allait doubler la dernière des trois principales, et poussé par un vent favorable, il veillait avec quelques matelots seulement à la manœuvre ; le reste, fatigué par la navigation de la nuit précédente, se reposait sous le pont. Tout à coup, des rochers qui forment le promontoire nord-ouest de cette île, s’élança à sa rencontre une forte embarcation chargée d’hommes. Ezzelino vit du premier coup-d’œil qu’il avait affaire à des pirates missolonghis. Il feignit pourtant de ne pas les reconnaître, ordonna tranquillement à son équipage de s’apprêter au combat, mais sans se montrer davantage, et continua sa route, comme s’il ne se fût point aperçu du danger. Cependant les pirates s’approchèrent à grand renfort de voiles et de rames, et finirent par aborder la galère. Quand Ezzelino vit les deux navires bien engagés et les Missolonghis poser leurs ponts volans pour commencer l’attaque, il donna le signal à son équipage, qui se leva tout entier comme un seul homme. À cette vue, les pirates hésitèrent, mais un mot de leur chef ranima leur première audace, et ils se jetèrent en masse sur le pont ennemi. Le combat fut terrible et long-temps égal. Ezzelino, qui ne cessait d’encourager et de diriger ses matelots, remarqua que le chef ennemi, au contraire, nonchalamment assis à la poupe de son navire, ne prenait aucune part à l’action, et semblait considérer ce qui se passait comme un spectacle qui lui aurait été tout-à-fait étranger. Étonné d’une pareille tranquillité, Ezzelino se mit à regarder plus attentivement cet homme étrange. Il était vêtu comme les autres Missolonghis, et coiffé d’un large turban rouge ; une épaisse barbe noire lui cachait la moitié du visage, et ajoutait encore à l’énergie de ses traits. Ezzelino, tout en admirant sa beauté et son calme, crut se rappeler qu’il l’avait déjà rencontré quelque part, dans un combat sans doute. Mais où ? c’était ce qui lui était impossible de trouver. Cette idée ne fit que lui traverser la tête, et le combat s’empara de nouveau de toute son attention. La chance menaçait de lui devenir défavorable ; ses gens, après s’être très bravement battus, commençaient à faiblir, et cédaient peu à peu le terrain à leurs opiniâtres adversaires. Ce que voyant le jeune comte, il jugea qu’il était temps de payer de sa