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L’USCOQUE.

cesse jamais de vous sembler digne de tant de gloire ! car ce jour-là le vaincu pourrait bien se sentir les mains libres, et lui prouver que le soin de votre honneur, madame, est le premier et l’unique de votre esclave fidèle, etc. »

Tel était l’esprit de cette lettre dictée par un sentiment sublime, mais écrite en beaucoup d’endroits dans un style à la mode du temps, si emphatique, et chargé de tant d’antithèses et de concetti, que j’ai été forcé de vous la traduire en langue moderne pour la rendre intelligible.

Le lendemain, le comte Ezzelin quitta son manoir au coucher du soleil, et descendit la Brenta sur sa gondole. Tout le monde dormait encore au palais Memmo lorsqu’il y arriva. La noble dame Antonia Memmo était veuve de Lotario Ezzelino, oncle du jeune comte ; c’était chez elle qu’il résidait à Venise, lui ayant confié l’éducation de sa sœur Argiria, enfant de quinze ans, d’une beauté merveilleuse et d’un aussi noble cœur que lui-même. Ezzelin aimait sa sœur comme Morosini aimait sa nièce ; c’était la seule proche parente qui lui restât, et c’était aussi l’unique objet de ses affections, avant qu’il eût connu Giovanna Morosini. Abandonné par celle-ci, il revenait vers sa jeune sœur avec plus de tendresse. Seule dans tout ce palais, elle était déjà levée lorsqu’il arriva ; elle courut à sa rencontre, et lui fit le plus affectueux accueil ; mais Ezzelin crut voir un peu de trouble et une sorte de crainte dans la sympathie qu’elle lui témoigna. Il la questionna, sans pouvoir lui arracher son innocent secret ; mais il comprit sa sollicitude, lorsqu’elle le supplia de prendre du sommeil, au lieu de sortir comme il en témoignait l’intention. Elle semblait vouloir lui cacher un malheur imminent, et lorsqu’elle tressaillit en entendant la grosse cloche de la tour Saint-Marc sonner le premier coup de la messe, Ezzelin fut certain de ce qu’il avait pressenti. — Ma douce Argiria, lui dit-il, tu crois que j’ignore ce qui se passe, tu t’effraies de ma présence à Venise le jour du mariage de Giovanna Morosini. Sois sans crainte, je suis calme, tu le vois, et je viens exprès pour assister à ce mariage selon l’invitation que j’en ai reçue. — A-t-on bien osé vous inviter ? s’écria la jeune fille en joignant les mains. A-t-on bien poussé l’insulte et l’impudeur jusqu’à vous faire part de ce mariage ? Oh ! j’étais l’amie de Giovanna ! Dieu m’est témoin que tant qu’elle vous a aimé, je l’ai aimée comme ma sœur ; mais aujourd’hui je la méprise et la déteste. Moi, aussi, je suis invitée à son mariage, mais je n’irai point. Je lui arracherais son bouquet de la tête et je lui déchirerais son voile, si je la voyais revêtue de ces ornemens