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REVUE LITTÉRAIRE DE L’ALLEMAGNE.

tous les peuples. Il se pose en théoricien et rédige des méthodes complètes pour être léger, dépensier, aimable, homme de goût, etc. On reconnaît qu’il n’a pas impunément respiré la même atmosphère que les pédagogues. Au reste, tout cela nous paraît un prétexte pour faire preuve d’esprit, et M. de Lelly en a montré infiniment. Son chapitre des Philistins est un excellent morceau de verve et d’humour.

M. de Lelly est de l’école du prince Puckler, avec les différences qui résultent d’une individualité assez marquée. Sa manière est un peu celle de Montaigne auquel il a emprunté l’épigraphe : Mon mestier et mon art, c’est vivre. Il se fait, comme lui, enfileur d’anecdotes, de proverbes, de réflexions, sans arriver, autant que Montaigne, au charme de l’imprévu. Je ne saurais dire jusqu’à quel point son style est en-deçà ou au-delà de celui du prince Puckler. Une telle comparaison a sa difficulté, quand il s’agit de gens qui ne doivent peut-être rien au travail, et que l’élan naturel a portés du premier bond beaucoup plus loin que certains limeurs de phrases. On pourrait, en parodiant une formule célèbre, dire qu’un peu de travail donne un style de pédant, et que beaucoup de travail fait écrire en honnête homme. La plupart de ceux qui commencent à écrire croient que l’important est de se distinguer de ceux qui écrivent simplement. Ils font donc du style que personne ne parlerait, et quand ils ont surchargé leurs longues périodes de mots étranges que les lecteurs de bon sens évitent avec effroi, ils se croient au bout de leurs peines. Il est trop vrai que beaucoup d’Allemands finissent par ce commencement. Je crois que M. de Lelly, tout en se gardant des procédés de l’école, prend sa besogne plus au sérieux que son modèle. Surtout il évite de grossir de mots français son vocabulaire, comme le fait trop fréquemment le prince Puckler. Ces pauvres mots français, ainsi travestis en allemand, me rappellent involontairement les diplomates de Mahmoud dans la lourde capote des sous-lieutenans européens. Dans le dernier ouvrage du prince Puckler, j’ai lu que les mots recherchirteste toilette signifiaient : la toilette la plus recherchée. Recherchirteste ! Il y a dans ce gros superlatif de quoi nous faire détester par tous les pédans de nationalité allemande. Pour moi, lecteur français, le mot ausgesucht aurait suffi à me contenter.


A. Sp…