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les qualités d’un bon ouvrier en batailles, et il lui refuse le sentiment de la vraie grandeur et le don de gagner les hommes. Si l’histoire n’était là pour réfuter M. Varnhagen, on pourrait encore rappeler que l’humanité, attirée invinciblement vers ceux qui sont en mesure de la dédaigner, dispense volontiers les grands hommes de toutes les qualités aimables, et que Napoléon eût été fort excusable de se montrer grand homme comme l’entendent les masses.

Se défiant de l’attrait qu’offrent, dans ses souvenirs, les parties qui se rattachent à sa vie passée, M. Varnhagen y a joint plusieurs biographies et autobiographies de personnages plus ou moins connus, tels que Schlabrendorf, Bernstorff, Nolte, Bollmann, etc. La plus intéressante est, sans contredit, la collection des lettres de Bollmann, dont le nom se rattache à une tentative d’évasion de Lafayette, lors de sa captivité à Olmütz. Cet Allemand, né en Hanovre, vint, jeune encore, à Paris, pour y continuer ses études médicales. Orphelin, il avait compté sur un oncle, négociant à moitié anglais, qui se trouvait alors en France, et qui l’avait encouragé à l’y venir joindre. Voici le portrait qu’il fait de cet oncle : « Gonflé comme un petit esprit qui a fait fortune, il a l’affreuse indifférence des gens dont la tête et le cœur sont également vides, et fait toujours sonner haut son succès et son industrieuse activité. Ses bienfaits vous pèsent… Ses intentions peuvent être bonnes, mais il est grossier dans ses façons de penser et d’agir. Pour lui, la plus sage maxime de conduite est celle-ci : éviter soigneusement toute espèce de liaisons. »

On voit tout d’abord qu’un pareil oncle, se chargeant de préparer l’avenir d’un neveu dont l’ame était passionnée et l’imagination ardente, avait entrepris une tâche au-dessus de ses forces. Il le sentit plus qu’il ne s’en rendit compte, et abandonna à lui-même son neveu, en lui laissant une somme de six cents francs en assignats. Celui-ci vit avec joie plutôt qu’avec crainte s’ouvrir devant lui la perspective d’une misère indépendante. Les lettres confidentielles que Bollmann adressa alors à une parente qui lui avait servi de mère, ne contiennent qu’un tableau assez ordinaire de la société française pendant la révolution, et d’une position commune à tous les jeunes gens qui débutent en des circonstances difficiles. Nous n’en eussions pas fait mention, si cette correspondance naïve ne devenait intéressante et pleine de charme, à propos d’un événement fort simple en lui-même. On y rencontre dès ce moment des pages dignes du premier volume des Confessions de Rousseau. Il y a surtout une situation dont on ferait une nouvelle charmante ; je me trompe, la nouvelle est toute faite, et beaucoup mieux peut-être qu’on ne la pourrait faire. Elle est toute entière dans deux lettres de Bollmann. Le jeune médecin hanovrien commençait, vers l’époque de la terreur, à voir qu’il lui serait difficile de vivre de sa profession à Paris, malgré les relations brillantes qu’il avait pu y former. Il songeait à aller chercher fortune en Angleterre, quand une circonstance imprévue vint lui en fournir les moyens.

« Quelques jours après le 10 août, dit-il, je vis arriver chez moi M. Gambs,