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REVUE LITTÉRAIRE DE L’ALLEMAGNE.

nom : « Que chaque élan nouveau marque un progrès chez le poète, qu’il s’éprenne toujours et chaque fois d’un objet plus élevé avec un surcroît de sensibilité ; il n’en apparaît que plus fidèle à l’amour et à la vérité dans leur développement humainement possible et permis, ce qui est une fidélité supérieure à la fidélité vulgaire, qui n’est qu’une persistance extérieure appliquée à un fait accidentel. » Chez un philosophe, je prendrais bien mon parti d’un pareil langage, mais chez un littérateur, chez un poète, je ne puis qu’être péniblement affecté par cette désolante anatomie de la pensée. Encore, ai-je dû rendre à cette phrase un peu de cet ordre grammatical que la logique a imposé à tous les idiomes de l’Europe, hormis à l’idiome allemand. Et quand on songe que des périodes semblables, construites encore aujourd’hui dans le système de la syntaxe latine, font attendre souvent le sens principal jusqu’à la fin d’une interminable page, on ne comprend pas comment, au lieu de nettoyer leur prose comme ils ont fait pour leur versification, si hardie, si dégagée, si elliptique, les Allemands l’ont rendue complice de la lourdeur philosophique. Plusieurs esprits distingués ont essayé, depuis quelque temps, d’attaquer de front ce monstrueux échafaudage ; malheureusement ces tentatives se rattachent à des imitations de l’esprit français. Mieux vaudrait revenir à la clarté par la route qu’ont indiquée et souvent suivie Goëthe, Schiller et un très petit nombre d’autres écrivains.

La passion est presque toujours étrangère à M. Varnhagen, et ses mémoires, ainsi que ses appréciations critiques, y gagnent au moins un certain caractère d’impartialité. Cette dernière qualité est d’autant plus estimable chez lui, qu’il est de bon ton à Berlin de faire à tout propos du pédantisme de nationalité allemande. Or, M. Varnhagen rend pleine justice aux écrivains français, et surtout à Molière, ce qui est fort courageux en présence de certains génies qui trouvent très commode de dédaigner Molière, ne pouvant ni le comprendre ni le sentir. Goëthe disait, au sujet de ce lourd dédain affiché alors par la critique allemande : « Nos chers Allemands croient être gens d’esprit quand ils font du paradoxe, c’est-à-dire de l’injustice. » M. Varnhagen a eu néanmoins son temps de partialité, partialité douce et bénigne dont on trouve les traces dans des fragmens destinés sans doute à faire partie de ses mémoires, et qui paraissent avoir été écrits à une époque où son ame était plus accessible à la passion. Dans l’un de ces morceaux, il raconte la bataille de Wagram, où il fut honorablement blessé le lendemain du jour de son incorporation volontaire, et il croit devoir assurer qu’il s’en fallut de très peu que l’Autriche ne gagnât cette bataille de deux jours. Ailleurs, il décrit la mémorable fête du prince de Schwartzemberg, et l’épouvantable catastrophe qui la termina. Enfin, il retrace une audience solennelle où il fut présenté à Napoléon avec l’ambassade d’Autriche. Dans cette circonstance, tout lui déplaît, jusqu’aux magnifiques uniformes des compagnons de César, qu’il trouve pauvres et mesquins auprès des uniformes de l’armée autrichienne ; mais Napoléon est la figure qu’il s’attache à rapetisser, par la raison que le conquérant avait jugé à propos de ne pas être aimable ce jour-là. Il ne lui accorde que