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REVUE LITTÉRAIRE.

taque la jeune fille, elle se défend avec sa pudeur et sa fierté. L’adversaire s’irrite, l’obstacle augmente ses désirs, il éprouve même un moment de l’amour. Sa main est offerte, elle est rejetée ; l’orgueilleux blessé se retire, s’éloigne même du pays ; mais il cherche un moyen de se venger. Le hasard le lui offre. Dans une contrée lointaine se présente à lui un jeune homme qui, placé dans des conditions exceptionnelles et bizarres, se croit fils d’un comte et l’héritier d’une grande maison du Nord. L’Anglais vindicatif l’attire auprès de lui, l’encourage dans ses idées chimériques, l’introduit dans les hauts cercles de Londres, et, sans qu’il se doute du rôle qu’il lui fait jouer, le pousse, avec la qualité de gentilhomme et sous l’aspect d’un homme intéressant par ses malheurs, aux pieds de la cruelle Angelica. La rebelle se prend au piége par la pitié ; elle aime le complice innocent des roueries de son ennemi ; celui-ci la paie de retour. Bientôt le mariage étend sur leurs têtes son voile doré, et, quand le bonheur les a comblés de ses pures délices, le baronnet se montre et leur broie le cœur à tous les deux en leur jetant à la face l’atroce vérité. La jeune femme, saisie, humiliée, s’éloigne de son époux ; l’infortuné mari s’en va mourir misérablement en prison, et Shelton rentre dans le monde avec la satisfaction d’un homme vengé et l’applaudissement de tous les roués de la haute société.

Voilà le drame avec son exposition, son milieu et son dénouement, réduit à sa plus simple expression. Il est facile de voir, par le peu que nous en avons dit, combien le rôle du baronnet doit être imposant et terrible, combien la lutte d’Angelica comporte d’intérêt, combien la situation du malheureux de Horn promet d’angoisses et de pathétique, et combien la crainte, l’amour, la pitié, le remords, doivent souffler impétueusement sur toutes ces ames, et, pareils aux vents du ciel, les couvrir tour à tour de lumières et d’ombres. Mais la critique peut aussi demander où est l’unité, de quel personnage elle découle ? Bien que, par sa jeunesse, sa beauté, ses talens, Angelica soit la cause du mal, en attirant auprès d’elle un homme pervers ; que, pour cette raison, elle occupe le premier plan et donne son nom à l’ouvrage, l’intérêt et l’action du roman ne nous paraissent pas reposer sur elle seule plus que sur les autres. D’abord elle est presque toujours passive, attaquée : elle n’agit que pour se défendre ; puis l’intérêt de pitié se partage entre elle et son jeune mari. Est-ce le comte de Horn qui donne l’unité à l’ouvrage ? Mais durant le premier volume il est en dehors de l’action, et ne paraît sur la scène que pour amener la péripétie. Est-ce l’orgueilleux Shelton ? Nous le pensons. L’intérêt qu’il inspire n’est pas, assurément, un intérêt de compassion, c’est un intérêt de curiosité qui domine le roman tout entier et qui ne cesse qu’au dernier mot du dénouement. Il s’agit constamment de savoir s’il arrivera à la possession d’Angélique, ou comment, n’y parvenant pas, il pourra s’en venger. L’unité d’intérêt réside donc seulement en lui, et quant à l’unité d’action, son caractère remuant et audacieux relie toutes les parties de l’ouvrage. En effet, dès les premières pages, nous le trouvons dans une auberge de Suisse, se permettant une impertinence grossière vis-à-vis d’une jeune