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SALON DE 1838.

conception et d’exécution, seulement les figures nous ont paru trop grandes pour le champ de la composition. M. Riesener, coloriste d’après Rubens et Delacroix, a peint une Vénus, dont les formes n’ont ni la beauté ni la correction désirables, mais qui, néanmoins, promet un peintre. Comme M. Delacroix, M. Riesener fait palpiter la chair ; qu’il s’occupe maintenant de la ligne et du contour. On a comparé M. Biard à Wilkie ; c’est un talent moins élevé, mais aussi vrai et aussi souple. M. Biard ne manque pas de cette verve plaisante (humour) que le peintre anglais possède à un si haut degré ; son dessin est peut-être plus sûr, mais son coloris est moins riche et moins vivant. M. Biard devrait bien laisser de côté ses Indiens et ses cannibales, et se borner à la peinture de la vie réelle vue de ce côté naïvement comique, qu’il faut bien distinguer du côté trivial ou du côté ridicule. Sa Douane et ses Artistes pris en flagrant délit sont d’excellens tableaux ; une lumière plus vive, une couleur plus chaude, en feraient de petits chefs-d’œuvre. M. Fouquet, dans ses Baladins en voyage, a cherché la couleur ; il l’a trouvée, mais aux dépens de la forme. MM. Franquelin, Destouches et Duval Le Camus, les Scribe et les Ancelot de la peinture, sont comme d’habitude vrais et coquets, vulgaires et touchans, variés et inépuisables. M. Brascassat doit être fatigué d’éloges : qu’il nous permette donc une critique ; sans doute son loup est bien furieux, mais n’est-il pas d’une nature un peu chétive et prosaïque ? et ce chien qui s’élance et aboie à nous assourdir a-t-il toute la souplesse désirable ? M. Brascassat et M. Jadin peignent tous deux la nature morte d’une manière fort remarquable. M. Brascassat est plus vrai que M. Jadin ; son lièvre mort est presque un chef-d’œuvre ; on voudrait cependant qu’il prit un peu de l’éclatante couleur de M. Jadin, dût-il lui donner en échange un peu de sa précision.

V.

Louis XIV disait du Puget : Cet ouvrier-là est trop cher pour moi. Le public en dit tout autant de nos statuaires contemporains : ces ouvriers-là sont trop chers pour lui. Le public, en fait de sculpture, n’achète guère que des bustes ridicules ou des statuettes maniérées. La sculpture est le plus sérieux et le moins encouragé des arts du dessin ; on ne peut donc qu’applaudir sincèrement aux efforts du petit nombre d’hommes qui la cultivent avec une si noble persévérance. Leur persistance est d’autant plus méritoire, que la sculpture suppose déjà un enthousiasme plus opiniâtre que la peinture, plus de cette verve forte et tranquille, de ce feu caché qu’alimente un continuel entretien avec la nature. Pline nous rapporte qu’Apelles ne passait pas un jour sans dessiner, nulla dies sine linea : un sculpteur ne peut non plus passer un jour sans manier la cire ou l’ébauchoir.

C’est un sculpteur qui a dit : « Il faut étudier l’antique pour apprendre à voir la nature ; » on ne doit donc pas s’étonner si l’antique, chassé de toutes les positions de la peinture, s’est réfugié dans la sculpture. Un statuaire seul