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à l’orgue de son église, mit par hasard le pied sur l’une des pédales, l’instrument résonna. « Ah ! ah ! s’écria le curé Cossat, tout joyeux, je joue de l’orgue, ce n’est pas si difficile que je croyais. » M. Dubuffe, vous avez mis le pied sur la pédale de l’instrument dont Corrège jouait si bien, l’instrument a rendu un son, mais vous n’en jouez pas.

Cependant, comme avant tout nous voulons être juste, et résister aussi bien à l’entraînement de la critique qu’à l’entraînement de la foule, nous avouerons que chaque année les progrès de M. Dubuffe sont sensibles, qu’il cherche la précision, et qu’on s’en aperçoit. Après avoir peint la beauté commune et marchande, il commence à peindre la distinction et la beauté délicate. Les bras seuls et les mains des portraits de femmes sont toujours extrêmement faibles. Ils manquent de modelé, et on y cherche vainement des os et des muscles, qu’on doit retrouver même sous les formes les plus arrondies et les plus potelées.

Parler de tous les portraits remarquables qui sont au salon, ce serait fatiguer le lecteur et s’exposer à lui causer la répétition de l’ennui que toutes ces représentations de la forme humaine lui ont déjà fait éprouver. MM. Amaury Duval, Lepaulle, Dedreux d’Orcy, Bremond, Laure, Monvoisin, Jeanron, Viardot, et Mmes Rang, Léoménil, Clotilde Gérard et Brune, cultivent ce genre, chacun à sa manière, et chacun avec talent. Pris isolément, la plupart de leurs portraits sont œuvres de mérite, nous intéressent et nous plaisent ; enrégimentés et placés à la file, c’est la collection la plus assommante qui soit au monde : on se croit dans un théâtre ou dans une promenade, entouré d’un public endimanché qu’un coup de baguette a pétrifié. Cela peut divertir un moment, mais à la longue c’est à faire fuir.

Dans les batailles, comme dans les portraits, il y a excès d’abondance. Nous avons déjà parlé des grandes batailles de MM. Steuben et Schnetz. MM. Charlet, Eugène Lami, Bellangé, Langlois, Gallait, Couder, Adam, Alaux, Amédée Faure, Philippoteaux, Odier, Beaume, Renoux, Larivière et A. Johannot ont exposé des ouvrages de dimensions moins grandes, mais qui ne sont pas sans mérite. Ces peintres de batailles, qu’on eût dédaigneusement appelés peintres de genre sous l’empire, sont naturalistes la plupart, et le sont d’obligation. M. Charlet, dans son Passage du Rhin, est toujours le grand artiste que nous connaissons, l’homme qui, avec Géricault, a le mieux compris les habitudes militaires et le soldat du XIXe siècle. M. Charlet est un puissant improvisateur. Il jette sur la toile ses grognards tout armés plutôt qu’il ne les y pose, et sa touche si vivante et si spirituelle a parfois quelque chose de goguenard et d’insolent ; c’est le Delacroix des sujets militaires contemporains. M. Eugène Lami vient après Charlet ; il a pris son art au sérieux, et cette fois il s’est surpassé. Sa Bataille de Hondscoot est un bon ouvrage plein de mouvement et de lumière ; le paysage en est heureux, et n’a pas ces tons bleus crus que M. Charlet affectionne ; seulement, la partie inférieure du ciel est un peu lourde. Nous désirerions aussi plus de noblesse dans les chevaux qui sont dessinés avec un naturel parfait, dont on sent bien la fatigue,