Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/375

Cette page a été validée par deux contributeurs.
371
SALON DE 1838.

ment étaient traités les dissidens qui, à défaut d’une tribune pour exprimer leurs griefs, protestaient par leurs actes dans les expositions du temps, comme Gros dans ses jours de capricieuse indépendance, comme Ingres qui avait l’audace de vanter Raphaël à la face de David, comme Prudhon qu’on ne put jamais rallier. Peu s’en fallut que ces derniers ne fussent mis hors la loi, et chassés ignominieusement du sanctuaire des arts, ainsi qu’on appelait alors le salon.

L’art grec toutefois tendait dès-lors à une transformation nouvelle, et une sourde réaction commençait contre l’école du bas-relief, réaction militaire et ossianique sous l’empire, chrétienne pendant les premières années de la restauration ; mais cette réaction était faible, timide, et comme ignorante d’elle-même. Les mouvemens brillans et rapides de nos armées qui parcouraient le monde comme les Romains d’autrefois, l’ardeur et l’enthousiasme de nos soldats, le génie merveilleux de l’homme qui les commandait, eussent sans doute inspiré des chefs-d’œuvre tout nouveaux à des hommes moins préoccupés de l’art antique et des formes grecques ; et cependant, au lieu de retracer ce qu’ils voyaient, et de peindre l’homme héroïque du XIXe siècle, l’homme qui combattait, qui mourait ou qui triomphait sous leurs yeux, tous les grands artistes de l’époque, à quelques exceptions près, regardèrent comme indigne d’eux cette nature présente et actuelle et laissèrent à ceux qu’ils appelaient dédaigneusement peintres de genre, le soin d’exprimer ces détails, ou terribles, ou touchans, qu’ils trouvaient trop vulgaires pour leur pinceau. Quant à eux, ils continuèrent le bas-relief, se contentant de revêtir des glorieux uniformes du temps leurs statues antiques, déjà cent fois peintes, ou leurs mannequins posés à la grecque. Hercule couvrit ses fortes épaules d’une cuirasse et mania l’espadon, Bacchus endossa l’uniforme d’un hussard, Apollon prit celui d’un grenadier, Diane et Vénus devinrent cantinières, et l’Amour grec battit la caisse.

Dans les premières années de la restauration, les arts étaient encore soumis au régime de la monarchie absolue. L’art gréco-militaire s’était, il est vrai, encore une fois transformé ; le jour de l’abdication du grand empereur, il avait déposé l’uniforme, et de militaire il était devenu chrétien. La cour allait à la messe, le roi communiait, nos héros faisaient leurs pâques, les aumôniers donnaient des places, distribuaient des faveurs et tenaient les clés du coffre fort de l’état. Les peintres comme les guerriers et les poètes ont toujours été quelque peu courtisans, et soit que, comme certaines fleurs, ils aient besoin de rayons dorés pour se développer et briller de tout leur éclat, ils se tournent volontiers du côté du soleil levant. Or le soleil de ce temps-là était un soleil des plus orthodoxes. Ses bénignes et mystiques influences firent donc éclore force talens chrétiens, pâles talens que la récente invasion des peintres espagnols nous fait trouver plus pâles encore. La conversion des impériaux et des grecs fut rapide et complète ; nos peintres, à l’instar des prêtres païens qui passaient à la religion du Christ, métamorphosèrent leurs Vénus en saintes Vierges, leur Apollon en saint Michel, leur Neptune en saint Nicolas, leur