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SALON DE 1838.

être sa faiblesse de coloris et sa sagesse, voisine souvent de la froideur. Quelques critiques ont reproché à l’école de David de n’être qu’une branche bâtarde de l’école du Poussin, greffée par Vien sur l’arbre de la peinture française. David, dans le Bélisaire, les Horaces, le Socrate et autres compositions de sa première manière, s’est inspiré, sans nul doute, du Testament d’Eudamidas, du Poussin. On y trouve la même force et la même simplicité de conception, la même sagesse de disposition, le même calme dans la manière d’agencer ses personnages, et la même sobriété d’accessoires. L’épée et le bouclier suspendus à la muraille, près du lit du mourant, voilà les seuls accessoires du tableau d’Eudamidas, mais ces accessoires sont frappans. Quels ont les accessoires dans le Bélisaire ? un vase brisé et le casque du guerrier. Dans les Horaces ? une pique, un bouclier, la louve romaine et trois épées. Dans le Socrate ? un bout de chaîne rompue, une coupe et un papyrus déployé. David, dans sa première manière, était le chef d’une école qu’on eût pu appeler l’école laconique ; on était arrivé à peindre à Paris comme on parlait à Sparte. Le fracas de composition et le tapage étourdissant de couleur qui éclate sur les toiles des Vanloo, des Fragonard et des Doyen, et le gracieux bavardage de boudoir des Lagrenée, des Boucher et des Watteau, avaient, par une réaction naturelle et dont nous verrons tout à l’heure un exemple analogue, avaient amené l’art à cette rigueur et à ce calme. La fougue et l’incorrection des Vanloo, leur peinture jetée, leur pâte tourmentée, leur dessin flamboyant, avaient conduit par opposition à un dessin correct, mais sans mouvement, à un coloris sage, mais gris et sans verve, à un système de composition rigoureux et sobre, mais sans naturel et sans poésie. L’exagération réactionnaire fut poussée si loin, et ce mépris de la manière des Vanloo fut si profond, que, dans les ateliers de l’école de David, le nom de Vanloo était devenu synonyme de faux et de détestable, et qu’on y conjugait le verbe vanloter ; vanloter signifiait faire exécrable.

On a dit : rien d’intolérant comme une secte naissante qui prospère ; on peut dire, avec autant de vérité : rien d’intolérant comme une école nouvelle qui a du succès. Cette intolérance conduit, de prime abord et de propos délibéré, chaque école à l’exagération de ses qualités. David, qui succède aux Vanloo, qui négligèrent la forme et l’exactitude des proportions et qui n’eurent que le mérite d’être d’assez médiocres coloristes, David poussera la science du dessin jusqu’au calque sec de l’antique, et à l’absence du mouvement ; il sera plus pauvre coloriste que ne le furent les Vanloo. Ce sont de ces défauts qu’on pourrait appeler défauts réactionnaires. Ils naissent d’une pratique exagérée qu’on fait venir à l’appui de théories neuves et tranchantes, opposées à d’anciennes théories.

Plus tard, quand la révolution fut achevée, David se rappela qu’il avait été l’élève et l’admirateur de Boucher, il chercha le mouvement et voulut redevenir coloriste. C’est alors qu’il peignit le Brutus, les Sabines, le Léonidas aux Thermopyles, et quelques sujets de l’histoire contemporaine. Ses concep-