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qu’on eût dû chercher dans la nature, l’ordonnance des groupes qu’on eût dû trouver dans l’étude ou dans l’inspiration, on les chercha et on les prit exclusivement dans l’antique ; aussi le mouvement était-il raide et sans vie, l’ordonnance monotone et sans profondeur.

Antoine Coypel, qui, à défaut de génie, avait du savoir-faire et du bon sens, avait cependant fort bien dit dans son temps : « Faisons, s’il se peut, que les figures de nos tableaux soient plutôt les modèles vivans des statues antiques que ces statues les originaux des figures de nos tableaux. » Ces sages préceptes étaient oubliés ou méconnus.

Cette imitation de l’antique, mais surtout du bas-relief, que les disciples exagérèrent, a tenu la majeure partie des peintres de l’école de David dans la médiocrité, et a donné à tous leurs tableaux et même aux compositions colossales du maître quelque chose d’académique et de guindé qui glace le spectateur et le laisse sans émotion. Cette imitation a poussé à la négligence absolue de la couleur et à un mépris du clair obscur qu’on aurait peine à se figurer si les preuves n’étaient pas là. La peinture n’était plus que l’enluminure en grand ; on frottait la toile, on ne l’empâtait plus. La pâte est à un tableau ce que le corps du style est à un livre ; la pâte comme le style a son mouvement large ou saccadé, sa solidité et son harmonie ; son tissu a des beautés matérielles appréciées surtout des hommes du métier, saisies même par la foule ; beautés plus faciles à sentir qu’à définir. Si la pâte est le corps du style, la touche en est l’esprit ; la touche c’est l’expression. La touche était alors négligée comme la pâte ; on couvrait de figures calquées sur l’antique le plus qu’on pouvait de toile, on étendait sur ces figures une pâte fluide et sans corps, on accusait leur mouvement à l’aide de touches ou lâches ou sèches, selon qu’on visait à l’harmonie ou à la précision, et on disait : Voilà mon tableau !

L’école de David pourrait s’appeler l’école du bas-relief. Le bas-relief est sa plus simple expression. Le chef de cette école fut sans contredit un homme d’un admirable talent, et parmi ceux qui marchèrent à sa suite, on compte des gens d’un incontestable mérite ; mais si le maître se plaça hors de ligne, tous ceux qui se tinrent à la froide et stérile imitation de sa manière et qui l’outrèrent, comme les copistes font toujours, n’arrivèrent pas au génie. Les oseurs de ce temps-là, à la tête desquels il faut placer Gros, Girodet, Prudhon et Gérard ; Gros le fougueux coloriste, Girodet poète par veines, Prudhon le naturaliste, Gérard, qui, en peinture, chercha sagement l’épopée moderne, mais qui, comme Voltaire, ne sut guère y mettre que de l’esprit. Ces oseurs tendirent seuls vers les régions sublimes où plane le génie, tout le reste de l’école fit halte dans ces zones glacées du médiocre qu’on pourrait appeler les limbes du talent : deux ou trois seulement entrevirent le dieu ; car s’il y a beaucoup d’appelés, là aussi il y a bien peu d’élus.

L’imitation du bas-relief était, sans aucun doute, antérieure à l’école de David, mais cette école l’exagéra. Le Poussin a imité le bas-relief, mais en philosophe et en poète, et néanmoins c’est à cette imitation qu’il doit peut-