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HOMMES D’ÉTAT DE L’ANGLETERRE.

précautions recommandées par nos gouvernans et par mon noble ami lui-même, mais à une seule condition, c’est que toutes les mesures de redressement et de réforme soient d’accord avec les principes que nous cherchons tous à faire triompher. Ce sont les transactions, les compromis, les demi-mesures, que je condamne, et non le mûr examen des résolutions à prendre. Ce que je ne veux pas, c’est que l’on amoindrisse, que l’on énerve, que l’on mutile les réformes, comme il sera impossible que cela n’ait point lieu, si l’on essaie de concilier des opinions inconciliables, et de ménager des adversaires qu’on ne saurait gagner. Transiger ainsi sur les choses avec les ennemis de nos principes, c’est leur donner sur nous l’avantage, c’est les faire triompher de notre inconséquence, c’est les provoquer à dire que nous abandonnons nos alliés et nos opinions, c’est leur permettre d’attribuer les mécontentemens que crée une pareille tactique, à la décadence et à la ruine des idées libérales. Je proteste hautement contre cette politique ; je la crois dangereuse et funeste, parce qu’elle décourage et aliène les dévouemens les plus enthousiastes et les plus sincères, parce qu’elle fait naître dans le cœur de nos ennemis des espérances qui ne peuvent se réaliser, et parce qu’elle fournit des armes à ceux qui ne sauraient en user que pour combattre nos plus chers intérêts. »

J’ai entendu dire, par des témoins de cette scène, que l’effet de cette simple réponse sur l’irritable caractère de lord Brougham fut prodigieux ; qu’il se couvrit la figure avec les mains, et pour la première fois de sa vie peut-être, parut comprendre qu’il avait affaire à plus fort que lui. Il sentit assurément que du jour où il avait cessé de suivre les instincts populaires, et tenté de refouler ce fleuve de l’opinion publique dont il avait si glorieusement contribué à précipiter le cours, de ce jour-là les sources de l’inspiration et de la puissance oratoire s’étaient desséchées pour lui. Un jeune rival, bien moins favorisé sous le rapport des avantages extérieurs, mais impatient d’avancer encore sur cette route dangereuse où il voulait, lui, maintenant s’arrêter, allait lui ravir cette popularité, à la conquête de laquelle il avait consacré toute sa vie. De ce jour, en effet, l’étoile de lord Brougham a pâli : celle de lord Durham est encore environnée de vapeurs que ne perce pas suffisamment la vue la plus subtile ; mais il n’y a pas de prophète politique un peu hardi qui hésite à lui prédire la victoire.

C’est aussi depuis cette époque que lord Durham s’est définitive-