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vraisemblance. Voici, par exemple, quelques-uns de ceux qui coururent dans le temps à Londres. Lord Durham étant allé à Cherbourg sur un yacht qui lui appartenait, on prétendit qu’il y avait fait arborer les couleurs de sa famille au-dessus des armes royales d’Angleterre, et quand ce même yacht revint dans la Tyne, que le pavillon tricolore flottait au haut du grand mât. On disait encore qu’il avait détruit tout un village de ses domaines dans le comté de Durham, et chassé tous les habitans de leurs maisons, parce qu’ils ne l’avaient pas accueilli avec assez d’enthousiasme à son passage par les rues de l’endroit ; et mille autres fables du même genre qui ne sembleraient pas valoir la peine d’être inventées, si l’on ne savait d’ailleurs quelle importance acquièrent aisément de pareilles histoires dans l’esprit du public anglais.

Au mois de septembre 1834, les réformistes d’Édimbourg offrirent un grand banquet, selon les us et coutumes du patriotisme britannique, à lord Grey, qui n’était déjà plus à la tête du gouvernement, mais dont le nom commandait toujours le respect du parti libéral. Lord Durham y assistait avec son beau-père, et les réformistes d’Édimbourg y possédèrent aussi lord Brougham, qui était alors à son apogée, dans la carrière excentrique où il s’était laissé entraîner, parlant, écrivant, partout et sur tout, et prodiguant aux yeux étonnés de la multitude, dans les auberges de province et sur les grands chemins de l’Angleterre, le spectacle de la première dignité du royaume en tournée patriotique. Lord Brougham saisit fort mal à propos, avec l’intempérance de zèle qui le distingue, l’occasion de cette solennité, pour attaquer publiquement lord Durham et ses principes ultra-libéraux. Il décrivit les obstacles que semaient sur sa route, à lui et aux amis éclairés de la réforme, l’impatience et la précipitation de leurs alliés, et déclara que la bonne cause était compromise par l’imprudente ardeur des radicaux. Une pareille provocation exigeait une réponse de lord Durham. Il la fit très explicite et très digne.

« Mon noble et savant ami lord Brougham, dit-il, a bien voulu donner quelques avis qu’il croit fort sages, à une certaine classe de personnes, que pour mon compte je ne connais pas, mais qui, selon lui, désirent trop vivement effacer les anciens abus, et en pressent la destruction avec une impatience maladive. Je dois l’avouer, je suis de ceux qui ne voient pas sans regret qu’on laisse vivre une heure de plus, après qu’on l’a découvert, tout abus généralement proclamé tel. Cependant je veux bien qu’on réfléchisse et qu’on délibère avant de les corriger ; je veux bien qu’on y apporte toutes les