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eut aussi connaissance, à sa très grande surprise, par un article du Times, alors journal ministériel, qui en rapportait le contenu fort exactement et presque mot pour mot. Il faut dire, pour faire comprendre ce qui suit, que la violation de pareils secrets est considérée, en Angleterre, comme une espèce de haute trahison privée, qui ne mérite et n’obtient ni indulgence ni pardon. L’évêque d’Exeter, un des plus fougueux orateurs de l’opposition tory, et de plus ennemi personnel de lord Durham, se chargea donc du scandale, et fit de la publication de cette lettre le sujet d’une violente attaque contre sa seigneurie le lord du sceau privé, qu’il accusa formellement d’avoir communiqué la chose au journal en question. Lord Durham répondit par une dénégation non moins formelle du fait qui lui était imputé, et sur le ton de la plus vive indignation, mais cela dans un langage si peu mesuré et en termes si injurieux, qu’il ne fallut assurément rien moins que le caractère sacré de l’un des deux personnages pour prévenir entre eux une affaire d’honneur. Quel fut réellement le coupable dans la perfide indiscrétion qui livrait à la publicité une lettre confidentielle du duc de Buckingham à son souverain ? C’est ce qu’on ne sait pas encore aujourd’hui, et je ne pourrais dire si lord Durham avait ou non des relations quelconques avec les rédacteurs du Times. En Angleterre, toutes les nuances d’opinions politiques ont leur organe avoué dans la presse quotidienne ; mais, par une pruderie toute particulière à nos hommes d’état, il n’y a pas de chef de parti qui ne repousse hautement, pour son propre compte, l’imputation d’être personnellement en rapports avec le journalisme.

Chez nous, les éditeurs de journaux ont très rarement un nom littéraire connu ou distingué comme tel. Ce sont des plumes obscures, bien que souvent fort habiles, qui se consacrent à la défense de certaines opinions politiques, dont les chefs ne reconnaissent jamais les obligations qu’ils peuvent leur avoir. Quant à lord Durham, il est certain qu’au début de sa carrière il eut des relations fort étroites avec la rédaction d’un journal qui se publiait dans sa province, et qui se livrait aux plus violentes attaques contre le clergé anglican du pays. Le docteur Phillpotts, aujourd’hui évêque d’Exeter, alors prébendaire de Durham, riche bénéficier de l’église établie, et pamphlétaire politique d’un grand mérite, était particulièrement maltraité dans cette feuille que l’on supposait rédigée sous l’influence de M. Lambton. Inde iræ ! Le fait est que l’animosité réciproque de ces deux personnages rappelle de loin les luttes acharnées de la puissance temporelle et de la puissance spirituelle du seigneur et de l’abbé dans les temps féodaux.