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Il est certain que les Francs s’étant emparés de la Gaule, leurs institutions et leurs mœurs ont fait invasion dans la société romaine ; mais la part du bien qu’on pourrait leur attribuer est très petite, tandis que celle du mal est immense. Si l’on suit la marche de la civilisation dans notre Occident, on verra qu’après avoir succombé sous les coups des peuples du Nord, elle ne s’est relevée peu à peu qu’au fur et à mesure que nous nous sommes purgés de ce que nous avions de germanique ; et, enfin qu’aujourd’hui, s’il est rien que la Germanie puisse encore revendiquer dans notre état social, ce sera le duel ou quelque chose de ce genre, dont nous cherchons encore à nous débarrasser. Ainsi, loin d’avoir contribué à restaurer la société, les Germains n’ont fait que la corrompre davantage et qu’en rendre la restauration plus difficile. Tant que leur esprit domina, on ne connut en France ni liberté individuelle, ou publique, ni intérêt commun. La société, plutôt que de se gouverner par une loi générale, ne se soutenait qu’avec un système de lois et d’obligations particulières. En l’absence d’une force publique, il était nécessaire que toutes les forces privées fussent équilibrées entre elles : de là les commendises et les associations (comitatus, arimannia, gasindi) ; de là pour le faible, l’obligation de se mettre sous la protection du fort, ou de se réunir avec ses parens et ses égaux en petites sociétés ou ligues, capables de se défendre et de se faire justice elles-mêmes. Alors il n’y eut plus de patrie, et ce nom, tout puissant dans l’antiquité, fut sans vertu et sans signification. L’état politique, l’état civil, l’état moral, l’état intellectuel, tout déclina dans la Gaule depuis Clovis jusqu’à la fin de sa race. Ce fut une période de décadence et non de progrès. Le progrès continu et indéfini de la civilisation est d’ailleurs, à mes yeux, une erreur et un sophisme. Au lieu de passer toujours, et constamment, du mieux au mieux, la civilisation va souvent du bien au mal ; tantôt elle avance, tantôt elle recule ; c’est un mouvement irrégulier et perpétuel de va et vient, comme tout ce qui tient à la nature de l’homme, dont la loi éternelle est de croître et de décliner. Il n’y eut donc, sous la première race, de progrès que vers la barbarie. Les Mérovingiens régnèrent, ou plutôt dominèrent, moins sur le pays et sur les peuples de la Gaule que sur les bandes armées de toute espèce qui l’occupaient ou qui la parcouraient dans tous les sens en pillant également amis et ennemis. Le roi lui-même avait sa bande armée : c’était la plus nombreuse, la plus riche et la plus forte ; car, du moment que la bande du maire du palais l’emporta sur la bande royale, ce fut le maire du