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HISTOIRE POLITIQUE DES COURS DE L’EUROPE.

lement pour sauver la dignité du czar. Même facilité sur le duché de Varsovie. On cessa de demander son incorporation à la Saxe : on alla même jusqu’à déclarer que, si la France voulait donner une partie du duché ou Dantzick en indemnité au duc d’Oldenbourg, on le refuserait. Mais le point sur lequel on insista avec le plus d’ardeur fut le désarmement des deux empires. En témoignage de ses dispositions pacifiques, Alexandre renvoya sur le Danube deux des cinq divisions qu’il en avait retirées six mois auparavant.

« Laissons dormir toutes les questions, disait le comte de Romanzoff au comte de Lauriston, rappelons nos armées au centre de nos empires, et ensuite nous traiterons amicalement. » Cependant toute cette humilité était plutôt dans la forme que dans le fond, parce qu’elle ne portait que sur des points secondaires. C’était sur la question maritime qu’il fallait céder pour désarmer la France, et, sur ce point, la Russie demeurait inébranlable dans son nouveau système. Ses ports, ses magasins, ses marchés, ses routes, continuaient de rester ouverts aux marchandises anglaises, qui y affluaient en quantités si énormes, que, sur les marchés mêmes de l’Allemagne, leur valeur était descendue au-dessous du cours ordinaire. Ce n’était plus seulement des navires américains qui se chargeaient de les apporter en Russie, mais des navires anglais, qui, pour conserver un reste d’apparence d’origine neutre, hissaient au haut de leur mât le pavillon américain ou brésilien. Les concessions d’Alexandre sur des questions insignifiantes n’avaient donc qu’un but, celui de gagner du temps et d’ajourner la guerre à une époque plus favorable pour son empire. Mais les mêmes causes qui lui faisaient craindre de la commencer alors étaient précisément pour nous des raisons déterminantes de l’entreprendre immédiatement. L’ajourner après la soumission de l’Espagne eût été une faute insensée. L’insurrection de ce pays, continuellement ravivée par l’or et les armées de l’Angleterre, ne pouvait être vaincue par les moyens ordinaires : nos plus habiles généraux, à la tête des meilleurs soldats de l’Europe, avaient échoué à la tâche. Pour la mener à une prompte et glorieuse fin, il fallait la présence de Napoléon, l’unité de son génie et de son commandement, et le concours d’une partie des forces qui alors étaient campées entre le Rhin et l’Oder. Certes, la Russie n’attendrait pas que l’insurrection espagnole fût vaincue, que le dernier soldat anglais fût chassé de la Péninsule pour se déclarer. Elle agirait comme l’Autriche en 1809. Napoléon à Madrid apprendrait bientôt l’entrée d’Alexandre à Varsovie. Aujourd’hui l’Autriche, la Prusse, toute l’Allemagne, venaient se grouper autour de notre drapeau : ajourner nos projets, dégarnir les rives de l’Oder et du Rhin, tourner ainsi le dos à l’Europe, c’était la livrer aux impulsions de la Russie, de l’Angleterre et de ses propres passions. La guerre offensive et immédiate nous portait comme un torrent sur la Vistule, entraînant avec nous toutes les force de l’Occident ; avec le système de défense et d’expectative, le torrent, au contraire, descendrait du Nord à l’Occident, emportant à son tour avec lui toute l’Allemagne. Quant à la guerre d’Espagne, le point capital en ce moment était moins de la terminer que de conserver