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HISTOIRE POLITIQUE DES COURS DE L’EUROPE.

de francs, et son adhésion absolue aux derniers décrets contre le commerce anglais.

Cependant la grande lutte qui allait décider du sort de l’Europe s’approchait. Dans la situation où se trouvait la Prusse, il était impossible, une guerre éclatant entre la France et la Russie, qu’elle n’y fût pas enveloppée tout entière. Elle ne pouvait rester neutre : il fallait qu’elle servît de route militaire à l’une ou à l’autre, en attendant qu’elle leur servît de champ de bataille. Il fallait, en un mot, qu’elle fût russe ou française.

La France, par elle-même ou par ses alliés, l’étreignait de toutes parts ; elle l’avait démantelée sur tous les points : elle occupait encore trois de ses principales places et Dantzick. Elle lui avait ainsi enlevé jusqu’à la possibilité de défendre son territoire, si elle était tentée de l’envahir. Il fallait donc que la cour de Berlin, si elle s’unissait à la Russie, se transportât, au premier coup de canon, avec toutes ses forces disponibles, au-delà de la Vistule, qu’elle nous livrât tout le pays compris entre l’Oder et ce fleuve, et qu’elle ne rentrât sur son territoire qu’escortée de 300,000 Russes. Une semblable résolution était grande, audacieuse ; la Prusse, en l’embrassant, restait dans la vérité de ses sentimens et de ses passions, et pour les états comme pour les individus, il n’existe de vraie grandeur que dans la vérité. Mais cette résolution, qui eût été admissible si la Russie avait pris l’offensive et ouvert ses bras à la Prusse, ne l’était plus, du moment que cette puissance voulait ajourner la lutte. Aussi, est-il certain que la cour de Berlin commença par s’offrir à la Russie, qui ne voulut point l’accepter comme alliée, de peur de précipiter la guerre qu’elle redoutait comme le plus grand des périls.

La Prusse n’avait donc pas la liberté du choix : la fatalité des circonstances l’enchaînait à sa plus grande ennemie. L’alliance de la France offrait d’ailleurs des avantages immédiats d’une haute importance ; elle fixait, dans l’état présent de l’Europe, les destinées du pays : elle mettait un terme à ses anxiétés comme aux intrigues de nos ennemis. Elle ramenait la confiance dans l’opinion, le mouvement dans les affaires, le crédit dans les finances ; elle ouvrait enfin, à cette monarchie, une perspective, non de grandeur, mais d’adoucissement à ses malheurs présens. À tous ces titres, l’alliance de la France était le seul parti qui convenait alors à la Prusse. Aussi le roi, ses ministres et l’opinion publique elle-même s’y rattachèrent comme à la seule chose qui pouvait les sauver. À peine la cour de Berlin commença-t-elle à entrevoir les indices d’une rupture entre les deux empires (24 mars 1811), qu’elle nous conjura, avec une ardeur pressante mêlée d’humilité, de lui accorder le bienfait de notre alliance. Ce fut, de sa part, comme une abdication, entre nos mains, de toute indépendance (16 avril 1811), une volonté exprimée sous mille formes, et chaque jour, de se livrer à nous sans partage, de nous servir de la tête et de l’épée en toutes occasions (16 mai 1811). La Prusse voulait vivre à tout prix, dût-elle vivre esclave et enchaînée, et, il faut bien le dire, cet amour de l’existence étouffait en elle toute dignité du malheur.

Lorsqu’elle commença à nous accabler de ses instances, l’année 1811 com-