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Après avoir protesté de son attachement à son alliance, il lui dit : « Je ne puis me dissimuler que votre majesté n’a plus d’amitié pour moi. Elle me fait faire des protestations et toute espèce de difficultés pour l’Oldenbourg, qui a été toujours le centre de la contrebande avec l’Angleterre. Le dernier ukase de votre majesté, dans le fond, mais surtout dans la forme, est spécialement dirigé contre la France. Dans d’autres temps, avant de prendre une telle mesure contre mon commerce, votre majesté me l’eût fait connaître. Notre alliance n’existe déjà plus dans l’opinion de l’Angleterre et de l’Europe. Que votre majesté me permette de le lui dire avec franchise, elle a oublié le bien qu’elle a retiré de l’alliance, et cependant, qu’elle voie ce qui s’est passé depuis Tilsitt. Par le traité de Tilsitt, elle devait restituer la Moldavie et la Valachie ; cependant, au lieu de les restituer, votre majesté les a réunies à son empire : la Valachie et la Moldavie font le tiers de la Turquie d’Europe. C’est une conquête immense qui, en appuyant le vaste empire de votre majesté sur le Danube, ôte toute force à la Turquie, et, on peut même le dire, anéantit cet empire.

« En Suède, tandis que je restituais les conquêtes que j’avais faites sur cette puissance, je consentais que votre majesté gardât la Finlande, qui fait le tiers de la Suède, et qui est une province si importante pour votre majesté, qu’on peut dire que, depuis cette réunion, il n’y a plus de Suède, puisque Stockholm est aux avant-postes du royaume ; et cependant la Suède, malgré les fautes politiques de son roi, est un des plus anciens amis de la France.

« Pour récompense, votre majesté exclut mon commerce depuis la Moldavie jusqu’à la Finlande et m’inquiète sur ce que je fais en-deçà de l’Elbe. Des hommes insinuans, et suscités par l’Angleterre, fatiguent les oreilles de votre majesté, de propos calomnieux. Je veux, disent-ils, rétablir la Pologne. J’étais maître de le faire à Tilsitt ; douze jours après Friedland, je pouvais être à Wilna. Si j’eusse voulu rétablir la Pologne, j’eusse désintéressé l’Autriche à Vienne ; elle demandait à conserver ses anciennes provinces et ses communications avec la mer, en faisant porter ses sacrifices sur ses possessions de Pologne ; je le pouvais en 1810, au moment où toutes vos troupes étaient engagées contre la Porte ; je le pourrais dans ce moment encore. Puisque je ne l’ai fait dans aucune de ces circonstances, c’est donc que le rétablissement de la Pologne n’était pas dans mes intentions. Mais si je ne veux rien changer à l’état de la Pologne, j’ai le droit aussi d’exiger que personne ne se mêle de ce que je fais en-deçà de l’Elbe. Moi, je suis toujours le même ; mais je suis frappé de l’évidence que votre majesté est toute disposée à s’arranger avec l’Angleterre, ce qui est la même chose que de mettre la guerre entre les deux empires. Votre majesté abandonnant l’alliance et brûlant la convention de Tilsitt, il serait évident que la guerre s’ensuivrait quelques mois plus tôt ou quelques mois plus tard. Le résultat de tout cela est de tendre les ressorts de nos empires pour nous mettre en mesure. Je prie votre majesté de lire cette lettre dans un bon esprit, de n’y rien voir qui ne soit