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HISTOIRE POLITIQUE DES COURS DE L’EUROPE.

impossible que leurs prétentions ou leurs craintes ne s’exprimassent point par des dispositions militaires destinées elles-mêmes à compliquer une situation déjà si grave.

C’est la Russie qui fit les premiers pas dans la voie des armemens. Elle les commença au mois d’août 1810, après le refus de la France de signer la convention russe sur le grand-duché de Varsovie. Dans les derniers mois de l’année 1810, ils prirent un développement extraordinaire. Une activité prodigieuse se manifesta dans toutes les branches du service militaire : l’armée fut considérablement augmentée ; les corps, dispersés sur toutes les limites de ce vaste empire, se rapprochèrent par un mouvement concentrique de ses frontières occidentales. On fortifia les grandes communications conduisant de l’Allemagne au cœur de la Russie, et des travaux immenses furent entrepris sur la Dwina.

Quel était le but de ces armemens ? préparaient-ils la guerre offensive ou la simple défense ? Tout annonce qu’à cet égard Napoléon supposait à l’empereur Alexandre de simples vues défensives. Sa défection s’exprimait sous des formes si timides, ses protestations d’attachement à l’alliance et de haine contre l’Angleterre continuaient d’être si vives, que Napoléon put croire à son désir de rester en paix et à la possibilité de le ramener à lui. Du reste, quelle que fût la pensée réelle du czar, il armait ; c’était pour l’empereur une loi d’armer à son tour, lors même qu’il n’y eût pas été poussé par l’espoir d’effrayer son rival et de l’arrêter dans la voie où il venait d’entrer. Cent mille fusils et un convoi d’artillerie considérable furent dirigés sur Varsovie ; le gouvernement du grand-duché fut invité à faire de nouvelles levées, à créer de nouveaux bataillons, à redoubler d’ardeur dans les travaux des places. La garnison de Dantzick fut augmentée de six mille hommes, et son matériel porté à un grand développement. Enfin, nos masses d’infanterie et de cavalerie recurent l’ordre de franchir le Rhin, et de se concentrer sur le Weser.

En apprenant tous ces faits, Alexandre parut troublé et surpris. Le 9 février 1811, il dit au duc de Vicence : « Vos mesures militaires prennent chaque jour un caractère plus hostile ; tout s’ébranle, et dans quel but ? Pour moi, je n’ai pas levé un homme de plus : les fortifications sur la Dwina sont purement défensives. L’empereur Napoléon veut-il la paix, l’alliance et le maintien du système ? Je suis à lui aujourd’hui comme je n’ai cessé de l’être depuis quatre ans ; mais il faut que ce soit l’Angleterre qu’il menace, et non pas ses alliés. S’il veut la guerre, il la fera sans motifs, et il sacrifiera une alliance qu’il aurait dû apprécier davantage ; s’il faut nous défendre contre lui, nous nous battrons à regret ; mais nous et tous les Russes, nous mourrons, s’il le faut, jusqu’au dernier, les armes à la main, pour défendre notre indépendance. »

Napoléon voulut répondre lui-même à ces plaintes. Le 28 février, il écrivit à l’empereur Alexandre une lettre que nous transcrivons presque en entier.