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HISTOIRE POLITIQUE DES COURS DE L’EUROPE.

avait touché qu’un seul. Ce qui est hors de doute, c’est qu’avant de se séparer de lui, l’empereur l’entretint long-temps, lui parla avec confiance et abandon, déroula sous ses yeux le vaste plan qu’il avait conçu pour réduire l’Angleterre, et lui déclara qu’il comptait sur son influence et son pouvoir pour ramener la Suède dans les voies du système continental. Bernadotte promit tout, il sembla s’associer de pensée comme d’action aux grandes combinaisons de l’empereur : ils parurent se quitter satisfaits l’un de l’autre. Sans doute Napoléon se flatta que l’élection de Bernadotte allait commencer pour la Suède une ère nouvelle et la rattacher, autant du moins que le comportait la nature des choses, à son système. Il se trompait. Nous l’avons dit : la Suède, en demandant un prince royal à la France, avait voulu désarmer ses rigueurs et non lui faire le sacrifice de son commerce. L’élection du prince de Ponte-Corvo ne la fit point dévier de la ligne politique où elle s’était placée depuis la paix. En dépit de ses fausses protestations et de ses ordres officiels, elle continua de recevoir dans ses ports une énorme quantité de produits anglais, qui ensuite allaient inonder les marchés de l’Allemagne et de la Russie. Cette conduite révolta l’empereur ; il lui sembla que cette puissance se jouait impudemment de lui et de la France. À dater de ce moment, il redoubla d’exigences envers elle, et, pour la première fois, il passa de la simple menace à des actes de sévère rigueur. Il donna l’ordre de saisir tous les navires de cette nation qui seraient chargés de denrées coloniales. Cette mesure reçut une application immédiate. Huit navires suédois furent saisis à Warnemunde. Lorsque cette décision fut prise et exécutée, le prince royal n’avait point encore pris possession de sa nouvelle dignité. Elle irrita au plus haut degré la cour de Stockholm, qui, dans un premier mouvement d’énergie, ordonna à son ministre à Paris, M. de Lagerbielke, de parler à l’empereur en personne et de lui demander la restitution des navires. Voici la réponse de Napoléon ; sa passion et son système s’y peignent tout entiers :

« Comment ! vous prétendez, monsieur, que je fasse relâcher des bâtimens porteurs de marchandises de contrebande appartenant à des Anglais, et que, par une lâche condescendance pour la Suède, je rende inutiles les mesures que je prends contre le commerce anglais et à l’exécution desquelles j’ai fait concourir toute l’Europe ! Quoi ! j’aurais chassé du trône mon frère que j’ai élevé, et que je chéris, parce que je l’ai vu hors d’état d’opposer une barrière à la contrebande qui se faisait ouvertement par la Hollande, et je laisserais la Suède faire impunément cette contrebande si nuisible aux intérêts du continent ! Si la Suède avait rempli ses engagemens envers moi, la paix serait faite avec l’Angleterre. Douze cents bâtimens anglais, qui ont pénétré cette année dans la Baltique, n’y seraient pas entrés, parce qu’aucun asile ne leur était ouvert ; mais ils étaient sûrs de recevoir sur les côtes de Suède un accueil amical. Là, on leur fournissait de l’eau, des vivres, du bois ; là, ils pouvaient attendre et saisir à propos le moment d’introduire leurs denrées sur le continent, et, lorsqu’une tentative échouait d’un côté, de la renouveler de l’autre. La Suède m’a fait plus de mal cette année que les cinq coalitions