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HISTOIRE POLITIQUE DES COURS DE L’EUROPE.

de sa famille ou simplement un de ses maréchaux, c’eût été se compromettre pour des avantages incertains vis-à-vis de la cour de Saint-Pétersbourg. Il avait à réclamer son concours, comme celui du reste du continent, à ses grandes mesures contre l’Angleterre, et c’eût été préluder étrangement à de pareilles demandes que d’accepter le vasselage de la Suède. S’il s’était cru la liberté d’exprimer un vœu, il l’eût fait en faveur du roi de Danemark. La réunion des trois couronnes de Danemark, de Norwège et de Suède, sur la tête de ce loyal et fidèle allié, eût présenté cet avantage immense de remettre les clés du Sund dans les mains d’un prince dévoué, et d’arracher ainsi la cour de Stockholm à l’influence anglaise. En outre, elle eût fait du nouveau royaume de Scandinavie un puissant contrepoids à l’influence russe dans les affaires du Nord, et cette partie de l’Europe se fût trouvée organisée d’après les principes d’un meilleur équilibre. Mais la cour de Saint-Pétersbourg n’eût point toléré une résolution qui aurait attaqué aussi à fond sa puissance relative et sa prépondérance dans le Nord. Aussi, Napoléon mit-il une sorte d’affectation à n’encourager, par aucune parole, même par la plus légère insinuation, la candidature du roi Christian. Il poussa si loin sa réserve à cet égard, que son chargé d’affaires, M. Désaugiers, ayant pris sur lui d’agir en faveur du roi de Danemark, il le désavoua hautement et se hâta de le rappeler de Stockholm.

Les états convoqués pour l’élection étaient assemblés à Orébro, attendant qu’un mot de l’empereur Napoléon fixât leurs incertitudes ; son silence étudié les affligeait, lorsqu’un troisième compétiteur parut sur la scène ; c’était Bernadotte, prince de Ponte-Corvo. Ce maréchal s’était attiré, en 1808, l’estime et la reconnaissance de la Suède. Chargé, à cette époque, d’occuper la province de Scanie et de la soumettre, il avait, conformément aux instructions de son maître, traité les Suédois plutôt comme des amis égarés qu’il fallait ramener par la douceur, que comme des ennemis qu’il fallait châtier. Il recueillit personnellement, tant dans cette circonstance que dans son administration de la Poméranie, tous les avantages d’une modération qui lui avait été commandée par son gouvernement, et il laissa dans les esprits l’impression d’un administrateur plein de lumières et d’humanité. Il s’attacha même, par la grâce expressive et toute méridionale de sa personne, la plupart des hauts dignitaires de la Suède, qui l’approchèrent. Parmi eux se trouva le général Wrède, qui jouissait à la cour et dans le pays d’une grande influence. Un autre officier, noble de naissance, mais d’un rang subalterne, Mortier, qui avait été son prisonnier et était resté son ami, fut, dit-on, celui qui lui suggéra l’idée de briguer les suffrages de la diète, et il fit un voyage en France dans ce dessein. Bernadotte avait une ambition pleine d’ardeur et d’impatience, il saisit avidement la chance de grandeur qui s’ouvrait devant lui ; mais il dit qu’il n’accepterait que si l’empereur l’y autorisait. Napoléon laissa le champ libre à son ambition, en lui déclarant qu’étant élu par le peuple, il ne s’opposerait point à l’élection par les autres peuples. Cependant, dans notre conviction son vœu secret était que Bernadotte ne fût