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HISTOIRE POLITIQUE DES COURS DE L’EUROPE.

de Cuxhaven et des villes anséatiques à la France, et l’adoption de nos décrets par la Prusse et le Danemark, avaient forcé les navires destinés pour ces pays, et la plupart chargés de denrées coloniales d’origine anglaise, à changer de direction. Quelques-uns étaient allés aborder les ports de Russie ; mais le plus grand nombre était venu chercher refuge et entreposer ses cargaisons dans les ports de Suède et de Poméranie, principalement dans celui de Gothenbourg, qui avait acquis, depuis quelques années, une importance commerciale extraordinaire, et qui, pendant les six premiers mois de l’année 1810, avait reçu pour plus de 100 millions de denrées coloniales et six mille navires.

La Suède était donc devenue, avec les négocians américains, l’ennemie la plus dangereuse du système continental qu’elle sapait dans ses fondemens, et ennemie d’autant plus funeste, qu’elle se couvrait du masque de notre alliance. Napoléon ne pouvait tolérer long-temps de pareilles offenses. Le 19 mai 1810, il avait sommé une première fois la cour de Stockholm d’interdire ses ports à tous les neutres en masse, et d’ordonner la confiscation de toutes les denrées coloniales qui s’y trouvaient entreposées, sous peine, si elle hésitait, de voir la Poméranie occupée par nos troupes. Elle avait répondu à cette sommation avec une humilité profonde et comme si elle avait résolu de se soumettre. L’ordre avait été envoyé à tous ses agens de se conformer aux désirs de la France ; mais, soit impuissance à se faire obéir, soit contre-ordre donné secrètement, les ports du royaume n’avaient pas cessé un moment d’être ouverts aux marchandises anglaises, et, comme nous l’avons dit plus haut, la réunion de la Hollande et des villes anséatiques à la France avait donné à ce commerce illicite une extension prodigieuse.

C’est au milieu de ces graves démêlés que mourut le prince royal d’Augustenbourg. Le 18 mai, ce prince, passant une revue, se trouva mal subitement et tomba de cheval. Tout présentait les symptômes d’une apoplexie foudroyante[1].

Cet évènement rendait nécessaire l’élection d’un nouveau prince royal, évènement fort grave auquel l’état actuel de l’Europe et la situation toute spéciale de la Suède donnaient une grande importance. Le grand âge du roi, la débilité de sa santé et de ses facultés laissaient en quelque sorte le trône vacant. C’était donc plus qu’un prince que la Suède allait élire ; c’était un chef, un roi de fait, auquel elle allait confier la direction de ses destinées.

  1. La Suède portait à ce prince un véritable attachement ; elle l’aimait comme l’homme de son choix. Sa mort si prompte et dans un âge peu avancé éveilla des soupçons, qui, chez le peuple, se changèrent en conviction furieuse. Il le crut empoisonné. Résolu de venger sa mort, il choisit sa victime aux funérailles mêmes du prince. Le comte de Fersen était le frère de la comtesse Piper, l’ennemie jurée du parti qui avait fait élire le prince d’Augustenbourg. Il n’en fallut pas davantage pour attirer sur lui la rage du peuple. Le comte conduisait le deuil en qualité de grand-maréchal du palais. Des groupes furieux l’assaillirent dans sa voiture, l’en arrachèrent, et après l’avoir abreuvé d’outrages, le mirent en pièces. Il fallut la présence du roi pour apaiser la fureur populaire et ramener le calme dans la ville de Stockholm.