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HISTOIRE POLITIQUE DES COURS DE L’EUROPE.

à la tranquillité et à la soumission ; mais je ne me déclarerai pas leur ennemi, et je ne dirai pas aux Français : Il faut que votre sang coule pour mettre la Pologne sous le joug de la Russie. Si jamais je signais que ce royaume de Pologne ne sera jamais rétabli, c’est que j’aurais l’intention de le rétablir, et l’infamie d’une telle déclaration serait effacée par le fait qui la démentirait. »

Après une sortie aussi violente, Alexandre ne pouvait plus, sans compromettre sa dignité ou la paix, insister davantage sur la convention : rédigée telle que le demandait la France, elle n’était rien pour lui ; car ce n’était point contre le présent qu’il voulait des garanties, mais contre l’avenir, tandis que Napoléon, au contraire, consentait bien à se lier pour le présent, mais voulait se réserver l’avenir. L’empereur de Russie aima mieux se passer de garanties que d’en obtenir d’incomplètes : il n’en parla plus ; mais il sortit ulcéré de cette négociation : il avait lu dans l’ame de Napoléon ; il lui avait arraché son secret ; d’allié qu’il était naguère, il le trouva son ennemi. Cependant la situation de son empire lui imposait une grande réserve et d’extrêmes ménagemens. Napoléon disposait de presque toutes les forces du continent, et il était en mesure de les précipiter sur la Russie et de lui arracher sa prééminence dans le Nord. L’intérêt d’Alexandre n’était donc point de vouloir la guerre dans le moment actuel, mais au contraire de l’ajourner. Gagner du temps, continuer de feindre un grand dévouement pour la France, lorsqu’on ne rêvait que projets de vengeance contre elle ; attendre, pour éclater, une occasion favorable, et préparer déjà dans l’ombre les élémens d’un vaste armement, tel fut le plan de conduite adopté alors par l’empereur de Russie.

III.

Désunies sur la question d’Orient et surtout sur celle de la Pologne, la France et la Russie ne tardèrent pas à l’être sur la question maritime, question plus grave que toutes les autres, parce qu’elle pouvait devenir une cause de guerre immédiate.

Les différends qui éclatèrent sur ce point entre les deux empires, se rattachent à tout l’ensemble de l’histoire du système continental pendant les années 1810 et 1811, et ils en forment assurément la page la plus curieuse. Le moment est venu de dire quelles furent les principales phases parcourues par ce fameux système depuis 1807. Le but dans lequel il fut fondé était d’atteindre l’Angleterre dans la source de sa puissance et de sa richesse, de fermer à ses navires tous les ports, à son commerce tous les marchés du continent, et de la placer ainsi entre l’abîme d’une banqueroute générale et la paix, telle que nous voulions la lui imposer.

Jamais la lutte de deux grands peuples ne donna naissance à une machine de guerre plus compliquée et d’une portée plus vaste. Le jour où cette machine immense fut mise en exercice et commença à fonctionner, elle atteignit tout d’abord les neutres. Les neutres, qui se réduisaient alors presqu’exclusivement aux Américains du Nord, n’avaient pas cessé, depuis le