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Le duc de Vicence signa donc, le 5 janvier 1810, un projet de convention dont voici les principales dispositions :

Article 1er . Le royaume de Pologne ne sera jamais rétabli.

L’article 2 proscrivait les noms de Pologne et de Polonais dans les actes publics.

L’article 5 interdisait, comme principe fixe et immuable, au grand-duché de Varsovie, toute extension territoriale sur l’une des parties composant l’ancien royaume de Pologne.

Par le dernier article, la convention devait être rendue publique.

Cet acte allait certainement bien au-delà des concessions que l’empereur Napoléon avait résolu de faire aux exigences de la politique russe ; mais si les deux empereurs s’étaient unis par le sang, il est probable que les aspérités de cette négociation eussent été promptement adoucies ; ils se seraient fait de mutuelles concessions, et la question polonaise, au lieu d’être mise à vif, fût restée dans l’état où l’avait laissée le dernier traité de Vienne, attendant, d’un avenir plus ou moins éloigné, une solution quelconque. Mais la réponse ambiguë d’Alexandre, à la demande de la main de sa sœur, accompagnait le projet de convention, et elle n’était point faite pour lui mériter l’indulgence de la cour des Tuileries. Aussi cet acte y fut-il accueilli avec colère : le duc de Vicence fut blâmé de l’excès de sa facilité, et au projet russe on opposa un contre-projet français (10 février 1810).

L’article 1er , s’écartant du caractère absolu et providentiel du projet russe, disait simplement : La France s’engage à ne favoriser aucune entreprise tendant à rétablir la Pologne.

L’article 5 interdisait à la Russie, aussi bien qu’au duché de Varsovie, toute extension nouvelle de territoire sur l’une des parties composant l’ancien royaume de Pologne.

Enfin la Russie avait exigé la publicité pour la convention ; la France voulait qu’elle restât secrète.

La pensée des deux empereurs se révèle dans ces deux projets.

Que voulait Alexandre ? Que Napoléon, par une sorte de serment solennel, fait en présence du monde entier, frappât d’une sorte d’impossibilité le rétablissement de la Pologne, qu’il étouffât lui-même dans le cœur de tous les Polonais les espérances qu’il y avait fait naître, qu’il proclamât son divorce avec cette nation infortunée, qu’en signe de cet éclatant abandon il arrachât de ses propres mains au duché de Varsovie ses empreintes polonaises, qu’enfin il plaçât l’infamie du partage sous la garantie de la France elle-même.

La question était posée en termes si nets, si absolus, qu’elle ne laissait pas à Napoléon le choix d’une réponse évasive : elle pénétrait comme un trait incisif jusqu’à sa pensée la plus intime ; elle le mettait dans la nécessité de s’expliquer.

Napoléon, de son côté, attachait un grand prix à se maintenir en paix avec la Russie ; mais il en mettait un bien plus grand encore à ne point désespérer un peuple qu’il réservait, dans le secret de sa pensée, à de hautes destinées. Aussi calcula-t-il son projet de convention de manière à tranquilliser, pour le