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HISTOIRE POLITIQUE DES COURS DE L’EUROPE.

qu’il fut placé, après la paix, à la tête des affaires. Il avait alors trente-six ans. Quoiqu’il arrivât au gouvernement de l’état avec une grande réputation de sagacité, il n’avait point encore donné la mesure de ses rares talens. Le genre et le grand nombre de succès que les agrémens de son esprit et de sa personne lui avaient valus à Paris, pendant son ambassade, le faisaient passer généralement pour un homme de plaisir, léger dans ses goûts, ayant peu d’avenir, et qui n’était point à la hauteur des grands évènemens au milieu desquels il se trouvait placé. D’origine étrangère (sa famille, illustre d’ailleurs, faisait partie de ces nobles médiatisés qui, après la paix de Lunéville, étaient venus chercher des honneurs et de l’emploi à Vienne), personnifiant pour ainsi dire la nécessité implacable qui enchaînait l’Autriche à la France, entouré d’ambitions rivales intéressées à le perdre, il était à peine supporté par toute la cour et le pays, comme la dernière condition d’une paix flétrissante. Mais c’était un de ces hommes appelés, par la distinction éminente de leur esprit, à de hautes destinées ; il se montra, dès son arrivée au timon des affaires, ce qu’il est encore aujourd’hui, accessible sans doute aux préjugés et aux passions politiques, mais sachant au besoin en faire le sacrifice, dirigé en général plus par les intérêts que par les principes, prenant son point d’appui dans les évènemens plutôt que dans les coteries de cour et les factions, et avant tout, ennemi prononcé des partis extrêmes ; à l’inverse du génie audacieux qui gouvernait la France, son système était de tourner les obstacles au lieu de les briser, de ne jamais se refuser à la fortune quand elle se présentait, mais de savoir l’attendre ; son esprit est vaste, pénétrant, timide dans les crises périlleuses, mais prompt et hardi dans l’exécution de ce qu’il a résolu, au fond bien plus habile encore que grand, et plus fait pour conserver que pour détruire ou fonder. Ses défauts sont ceux de ses qualités ; il est essentiellement l’homme des intérêts présens ; sa conscience souple et facile admet toutes les métamorphoses, même les plus opposées. La dignité du caractère et la moralité politique se perdent à travers toutes ces transformations, et, il faut bien le dire, jamais homme d’état n’a poussé plus loin que M. de Metternich le mépris de la vérité et l’oubli de la foi jurée.

Ce ministre arriva donc aux affaires avec la pensée arrêtée de lier son pays à la France. C’est dans ce but qu’il conseilla à l’empereur son maître de donner la main de sa fille à l’empereur Napoléon, et ce mariage ne fut pour lui qu’un moyen d’arriver plus sûrement à l’objet de tous ses vœux, à l’alliance politique. Mais cette alliance ne pouvait plus être ce qu’elle eût été après la journée d’Eylau. L’Autriche alors était encore assez puissante pour se faire payer cher ses services. Aujourd’hui, elle était en quelque sorte hors d’état de se mouvoir sous la main de son vainqueur et de son maître. Sous quelque forme qu’elle voulût se déguiser à elle-même son servage, sa destinée était d’être la vassale et non plus l’alliée de l’empire français. M. de Metternich ne se dissimulait nullement l’humilité d’une pareille situation, et il la subissait sans réserve, comme une nécessité horrible, mais dont, à force de ruses et d’habileté, il ne désespérait point de tirer de grands avantages.