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s’établir entre les deux cours, doivent naître les évènemens qui décideront du sort du monde. Le spectacle est grand et digne, en tous points, du drame terrible qui se joue en Europe depuis vingt ans.

Si l’alliance de famille devait être un jour une calamité pour la France, on peut dire que, pour l’Autriche, elle fut une véritable crise de salut ; son premier effet était de garantir son existence et celle de la dynastie impériale. Dans l’état de détresse où cette monarchie était tombée, elle pouvait, elle et son empereur, s’attendre à tous les genres d’infortune. Le mot de Napoléon au prince de Lichtenstein, dans le camp de Znaïm, donnait la mesure des coups que sa main pouvait frapper[1]. Maintenant, du moins, tout le monde était rassuré : l’état conservait son existence, l’empereur François son trône ; le présent et l’avenir se trouvaient garantis, c’étaient là d’immenses avantages. Mais le jeune ministre auquel l’empereur François venait de confier la haute direction des affaires poursuivait un but beaucoup plus élevé. Déjà, depuis long-temps, le comte de Metternich s’efforçait d’engager sa cour dans une alliance politique avec celle des Tuileries, non qu’il fût entraîné vers la France par des sympathies d’idées ou de systèmes ; tout autant que personne en Autriche, il haïssait sa domination, mais il la redoutait encore plus qu’il ne la haïssait. Tant qu’il avait cru son pays assez fort pour la vaincre par les armes, il avait approuvé son système de coalitions ; mais après la bataille d’Iéna, la question lui parut jugée pour un temps, et le moment venu, pour sa cour, de prendre place dans le système français. Ambassadeur d’Autriche à Paris, il ne cessa dès-lors de conseiller l’union avec la France. Son argument décisif était que Napoléon, qui ne pouvait se passer d’une grande alliance continentale, qui, avant et après la bataille d’Eylau, avait fait de bonne foi ses offres à l’Autriche, s’adresserait à Saint-Pétersbourg, s’il était refusé à Vienne, et que saisie dans les serres d’une alliance aussi redoutable, sa cour y trouverait la ruine ou la servitude. Ses conseils ne furent point écoutés, Napoléon conclut l’alliance de Tilsitt, et deux ans après, l’Autriche jouait, pour la quatrième fois, son existence dans les champs d’Eckmuhl et de Wagram. Après ces grands désastres, le rôle du comte de Metternich se dessina plus fortement encore. Il devint le chef avoué du parti pacifique et français, comme le comte de Stadion l’était du parti belliqueux et anglais. C’est à ce titre qu’il fut choisi pour négocier la paix à Altenbourg, et au même titre encore

  1. Lorsqu’après le désastre de l’Autriche à Wagram, le prince de Lichstenstein vint négocier dans le camp français l’armistice de Znaïm, Napoléon lui dit qu’il était prêt non-seulement à laisser l’Autriche dans son intégrité actuelle, mais même à lui restituer le Tyrol et le Voralberg, si l’empereur François consentait à laisser son trône au grand-duc de Wurzbourg. Il est certain que, jusqu’à son alliance de famille avec la maison d’Autriche, Napoléon prêtait à son empereur des idées et des sentimens incompatibles avec l’ordre de choses que la révolution et l’empire avaient créé en France : il le croyait personnellement hostile à son trône. Si ses victoires, dans la guerre de 1809, n’avaient point été mélangées de revers, et qu’il se fût trouvé maître des destinées de l’Autriche, comme il l’avait été dans les guerres précédentes, tout porte à penser qu’il eût adopté une de ces deux alternatives, ou il l’eût démembrée, ou il lui eût demandé le sacrifice de sa dynastie.