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et le ministre de la police, Fouché, votèrent pour la Russie. « Il n’y a en Europe comme en France, dit Fouché, que deux partis : celui qui a perdu à la révolution et celui qui y a gagné. L’Autriche est en perte, la Russie est en gain ; c’est donc à la Russie qu’il faut s’allier. » Cette opinion était celle d’une politique saine et élevée : c’était celle de l’empereur ; mais il se croyait maîtrisé par les circonstances ; il lui répugnait d’ajourner son nouveau mariage. La Russie, par son refus déguisé, le précipitait dans les bras de l’Autriche.

La demande en mariage de l’archiduchesse Marie-Louise fut faite immédiatement.

Cette grande décision, sur laquelle la cour de Vienne osait à peine compter, la combla de joie ; elle la reçut comme un retour inespéré de fortune. Tout se trouvant réglé d’avance entre les deux cours, la conclusion du mariage ne se fit pas attendre. Le 14 janvier, la nullité du mariage de Napoléon avec Joséphine fut prononcée par l’officialité de Paris, sous prétexte que toutes les formalités religieuses exigées par le concile de Trente n’avaient point été remplies. Napoléon se prêta à cette décision, pour apaiser les scrupules religieux de l’empereur François.

Berthier, prince de Neuchâtel, fut choisi pour aller épouser solennellement, au nom de son souverain, l’archiduchesse Marie-Louise. Il arriva à Vienne le 3 mars, et le 11 le mariage fut célébré dans cette capitale avec un éclat extraordinaire. Le 13 du même mois, la fille des Césars s’arracha des bras de son père et de sa famille, pour venir partager le lit et le trône du soldat couronné qui avait cueilli ses plus beaux lauriers dans les champs de Rivoli, d’Austerlitz et de Wagram.

Le duc de Vicence fut aussitôt chargé d’instruire la cour de Saint-Pétersbourg de ce grand évènement. Il eut ordre de dire à l’empereur Alexandre que le mariage que son souverain venait de contracter n’avait point de caractère politique, et n’altérerait, en aucun point, les sentimens d’amitié qu’il avait voués à son allié de Tilsitt. Il devait de plus insinuer que c’étaient les difficultés soulevées par la différence des deux cultes qui avaient décidé l’alliance en faveur de la maison d’Autriche.

La cour de Russie n’était nullement préparée à une semblable alliance. Alexandre en fut atterré. Malgré son art à dissimuler, il lui fut impossible de maîtriser le dépit extrême qu’il en conçut. Ne pouvant attaquer l’acte en lui même, il s’en prit à la forme. Il se montra blessé de la précipitation avec laquelle le mariage s’était conclu à Vienne : « Félicitez l’empereur sur le choix qu’il a fait, dit-il au duc de Vicence ; il veut des enfans, toute la France lui en désire ; le parti qu’on a pris est donc celui qu’on devait préférer ; il est cependant heureux que l’âge nous ait arrêtés ici ; où en serions-nous si je ne me fusse pas borné à parler de cela en mon nom à ma mère ? quels reproches n’aurait-elle pas à me faire ? quels reproches n’aurais-je pas à vous adresser ? car il est évident que vous traitiez des deux côtés. » Il finit en se plaignant qu’on lui objectât la différence des religions, lorsqu’on avait commencé par déclarer que cette différence ne serait point un obstacle au mariage.