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HISTOIRE POLITIQUE DES COURS DE L’EUROPE.

L’empereur Alexandre avait paru extrêmement sensible à la demande de Napoléon ; mais il avait répondu aussitôt que l’âge trop tendre de sa sœur serait peut-être un obstacle à une alliance qui comblerait les vœux les plus chers de son cœur ; « il allait, ajouta-t-il, en conférer avec l’impératrice sa mère, qui en déciderait elle-même. » La demande rencontra, dans cette princesse, des objections de plus d’un genre : les unes avouées hautement et en quelque sorte officielles, c’étaient celles relatives à la constitution délicate de sa fille ; d’autres, plus secrètes et plus vives, inspirées par l’orgueil dynastique et des préjugés de race. De plus, on élevait des prétentions singulières sur la question religieuse : on exigeait une chapelle aux Tuileries, avec tout le cortége du culte grec. Quant à l’empereur Alexandre personnellement, il désirait vivement l’alliance, faisant bon marché des préjugés dynastiques dans une affaire où la politique avait une si grande place. Les derniers témoignages de confiance et d’amitié qu’il avait reçus de Napoléon l’avaient réellement touché, et avaient amorti la fâcheuse impression qu’avait faite sur lui le dernier traité de Vienne ; il commençait à prodiguer de nouveau à notre ambassadeur les paroles amicales et flatteuses. Le 2 janvier 1810, il lui dit, avec une grace pleine de séduction : « Qu’il ne soit plus question entre nous de reproches ni de plaintes ; j’ai été pour l’empereur Napoléon encore plus un ami qu’un allié, je le serai plus que jamais, maintenant qu’il me rassure sur les justes inquiétudes qu’il m’avait données ; et le temps lui prouvera que je suis de ces gens que rien ne change. Ce n’est pas seulement vers votre nation que me portent mon cœur et mes opinions, mais aussi vers le grand homme qui vous gouverne. Comme tout le monde, j’admire sa gloire et son génie ; comme souverain et comme son ami, je fais des vœux pour tout ce qui peut asseoir et perpétuer sa dynastie. » Les vœux secrets du cœur de ce prince étaient donc en faveur d’une alliance de famille qui deviendrait, pour son empire, une garantie de sûreté et de paix, et, pour les prétentions légitimes de sa politique, un nouveau point d’appui. Peut-être espérait-il, en cette occasion, que Napoléon se prêterait aux impossibilités présentes et se résignerait à attendre : il demandait un délai de quelques mois.

Mais la dignité du chef de la France ne lui permettait pas de rester plus long-temps à la merci d’un refus de l’impératrice-mère. « Ajourner, c’est refuser, dit-il ; d’ailleurs, je ne veux pas, dans mon palais, entre moi et ma femme, des prêtres étrangers. » Et il partit, dès ce moment, se prononcer en faveur de l’archiduchesse Marie-Louise. Cependant, avant de faire la démarche officielle, il réunit son conseil et lui soumit les deux projets de l’alliance russe et de l’alliance autrichienne. La majorité se prononça en faveur de cette dernière. Les partisans de cette opinion dirent que l’Autriche n’avait cessé jusqu’ici d’être, sur le continent, le pivot et le centre de toutes les coalitions contre la France ; qu’elle était dominée par la crainte que l’empereur Napoléon ne la détruisît ; qu’une alliance de famille calmerait ses inquiétudes, et, en la désarmant, assurerait la paix du continent. L’empereur appuya cette opinion avec chaleur. Le roi de Naples, le prince de Talleyrand