Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/118

Cette page a été validée par deux contributeurs.
114
REVUE DES DEUX MONDES.

La pièce eût été prodigieuse si elle en eût valu la peine ; mais de quoi et de qui s’agissait-il ? D’un royaume à moitié envahi, de Charles et de Ferdinand. Que Charles reprît la couronne à son fils, afin de l’abdiquer de nouveau en faveur du souverain qu’il plairait au conquérant de nommer, c’est du drame pour le plaisir de jouer le drame. Il n’est pas besoin de monter sur des tréteaux et de se déguiser en histrion, lorsqu’on est tout-puissant et qu’on n’a pas de parterre à tromper : rien ne sied moins à la force que l’intrigue. Napoléon n’était point en péril ; il pouvait être franchement injuste ; il ne lui en aurait pas plus coûté de prendre l’Espagne que de la voler.

Charles IV, la reine et le favori cheminèrent vers Marseille avec une pension promise et quelques musiciens déguenillés : les infans s’en allèrent à Valençai.

Ferdinand, s’étant encore rapetissé pour tenir moins de place dans sa sale prison, avait en vain demandé la main d’une parente de Napoléon. Les Espagnols, privés de monarques, restèrent libres : Bonaparte, ayant fait la faute d’enlever un roi, rencontra un peuple.

Deux partis dominèrent alors dans la Péninsule ; le premier emportait presque tout le peuple des campagnes entr’excité des prêtres et fondu en bronze par la foi religieuse et politique ; le second comprenait les liberalès ; gent dite plus éclairée, mais, à cause de cela, moins pétrifiée par les préjugés ou consolidée par la vertu : le contact des étrangers, dans les villes maritimes, l’avait rendue accessible à nos vices et aux principes de notre révolution.

Entre ces deux partis se distinguait une opinion isolée : l’égoïsme avait enchaîné des admirateurs esclaves au char de Napoléon ; nous les avons vus exilés sous le nom d’Afrancesados : jadis les Espagnols appelaient Angevines les Napolitains attachés à la France.

Les massacres que le prince de Berg laissa s’accomplir dans Madrid, le 2 mai, commencèrent l’insurrection générale. Murat, initié à nos troubles, s’était enthousiasmé des tueries de la plèbe ; il exterminait maintenant cette plèbe avec autant d’ivresse. Il avait de l’allure du roi Agraman, de la valeur du Sarrasin Mandricar, de la vanterie de ces capitaines gascons du xvie siècle, dont Brantôme est le Tacite. Il volait à la charge avec un délire de joie et de courage, comme s’il eût été porté sur l’hippogriffe ; sabre recourbé au côté, anneaux d’or aux oreilles, plumes ondoyantes à son casque, mameluk, amazone, héros de l’Arioste.

Toute sa bravoure lui fut inutile ; les forêts s’armèrent, les buissons devinrent ennemis. Les représailles n’arrêtèrent rien, parce que, dans