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REVUE DES DEUX MONDES.

« Celui qui, pendant le cours d’une longue vie, a suivi cette marche du monde et de la science, celui qui a observé autour de lui et médité l’histoire, celui-là connaît tous ces obstacles ; il sait pourquoi une vérité profonde est si difficile à propager, et on lui pardonnera s’il refuse de se lancer dans un dédale de contrariétés. »

Mais aussi il sentit un vif plaisir quand le cours du temps produisit peu à peu et consacra les idées zoologiques qu’il avait un des premiers formulées. Il s’en réjouit, d’une manière expressive, dans une lettre qu’il écrivit à M. Carus, célèbre naturaliste allemand : « Je parcours mes anciennes notes avec plus de confiance que jamais en voyant se produire au grand jour, et sans concours de ma part, toutes les idées qui, dans la solitude, m’avaient paru justes et vraies. Il ne peut y avoir, pour un vieillard, de plaisir plus vif que de se sentir, en quelque sorte, revivre dans de jeunes gens. Parvenu à un âge où la plupart des hommes n’ont guère d’éloges à donner qu’au passé, les années qu’il m’a fallu consacrer à l’observation de la nature, silencieusement parce que ma pensée ne trouvait pas d’écho au dehors, se retracent délicieusement à ma mémoire, aujourd’hui que je vois les opinions du jour se mettre en harmonie avec les miennes. »

Mais Goëthe me semble avoir lui-même confondu sa qualité de poète avec sa qualité de naturaliste, dans le passage suivant (je cite toujours la traduction de M. Martins, élégante, car il s’est attaché à suivre son modèle, exacte, car il est très versé lui-même dans les matières dont Goëthe s’occupe) :

« Personne ne voulait m’accorder qu’on pût réunir la science et la poésie ; on oubliait que la poésie est la mère de la science ; on ne réfléchissait pas qu’après une période de siècles écoulés, l’une et l’autre pouvaient très bien se rencontrer dans les régions élevées de la pensée et contracter une sainte alliance utile à toutes deux. » Ici je ne puis partager l’opinion de Goëthe ; ce n’est pas à titre de poète, c’est à titre de naturaliste exercé, que Goëthe a conçu les grandes idées de zoologie qu’il a, un des premiers, essayé de faire prévaloir parmi les savans. Il avait (on vient de le voir par ce qu’il a dit lui-même de ses études), il avait disséqué beaucoup, examiné avec réflexion les différentes formes de l’organisation, poursuivi ses idées dans le domaine de la botanique et porté des recherches actives sur la géologie. Ainsi donc, il ne faut pas croire que son génie de poète lui a inspiré les notions élevées, mais précises, qu’il possédait sur l’histoire naturelle. Sans doute, dans une antiquité reculée, la poésie et la science